Le Danois télescope, avec une nuance d’humour, la violence des mondes de la mode et du cinéma de genre.
Dans The Neon Demon, le nouveau film de Nicolas Winding Refn (Drive), on retrouve une des obsessions du cinéaste danois : la démantibulation. Dans Pusher 3, le personnage principal, un parrain de la drogue, dépeçait longuement un cadavre pour s’en débarrasser. Refn aime les figures, les clichés. Mais contrairement à nombre de ses confrères, il ne tente pas de les pervertir. Il les utilise comme des éléments de vocabulaire inhérents à son cinéma.
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Dans The Neon Demon, l’héroïne est une adolescente orpheline, Jesse, qui s’installe à Los Angeles. Elle réside dans un motel tenu par un homme très peu charmant (Keanu Reeves, le temps de deux scènes), où elle découvre un soir un félin égaré (puma, lynx ?) dans sa chambre – qui annonce sans doute dans l’esprit de Refn une chasse, une violence animale qui n’obéit à aucune loi.
L’influence criarde de Kubrick
Jesse rêve, comme beaucoup de jolies filles, de devenir un grand mannequin. Mais elle est plus que jolie, elle est la beauté incarnée (par Elle Fanning, admirable). Elle devient en un temps record et sans avoir eu à lutter la nouvelle coqueluche des stars du milieu : la directrice d’une grande agence (Christina Hendricks, dans une apparition), photographes psychopathes et couturiers hystériques (figures obligées montrées comme des caricatures). Winding Refn filme ces scènes avec beaucoup d’effets, d’optiques anciennes, de ralentis, de bruits exagérés, de dialogues cassants, sous influence criarde de Kubrick.
Mais “la beauté est un scandale dans un monde qui est laid”, disait Cocteau. Jesse attise la haine de ses concurrentes, plus anorexiques les unes que les autres, accro à leur apparence, à la chirurgie esthétique, au sexe, à la drogue – Refn ne fait jamais dans la légèreté. Elle tombe aussi sous la coupe d’une maquilleuse (Jena Malone), qui la désire. Mais pour avoir ignoré les règles du jeu, Jesse va payer très cher.
Marionnette monstrueuse
La jeune fille ne le sait pas vraiment, mais elle est une poupée plus qu’un être humain, une poupée bientôt inquiétante, comme dans tous les films fantastiques. Visage blafard, cheveux trop blonds, celle qui sur sa toute première photo apparaissait avec un trait de découpe autour de son cou va subitement (vingt minutes avant la fin du film) devenir une marionnette monstrueuse à qui l’on aurait coupé ses fils.
Mais l’humanité, nous dit avec beaucoup de fard et de paillettes Nicolas Winding Refn, ne se contente pas de détruire la carrière et la vie des êtres, elle veut aussi les faire disparaître, les dévorer, les digérer (l’anthropophagie était l’un des thèmes récurrents des films cannois cette année). Au propre comme au (dé)figuré. Dans The Neon Demon, tout est métaphore, et c’est ce qui fait à la fois l’intérêt (la littéralité qui élève le cliché au rang d’archétype, de mythe) et la limite du film (le grand-guignol).
The Neon Demon de Nicolas Winding Refn (E.-U., Dan., Fr., 2016, 1 h 57)
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