Le deuxième film du prodige de l’horreur, Robert Eggers, explore les méandres de la folie autour de deux acteurs magnifiques. Une métaphore du cinéma dans un huis clos en noir et blanc expressionniste.
Quel est donc ce phare qui éclaire au milieu de la nuit ? C’est d’abord A24, producteur de The Lighthouse, sans doute le dernier refuge américain pour ce genre d’excentricités auteuristes (noir et blanc expressionniste, format carré, sécheresse narrative, décor à la scandinave) devenues assez rares depuis la fin des années 1990.
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C’est ensuite, de façon plus prosaïque, un lieu exigu, isolé, violent, propice à tous les débordements testostéronés dès lors que deux gardiens pas commodes, qui sont à la masculinité toxique ce que les deux sœurs de Fleabag sont à la bitcherie, s’y voient obligés de cohabiter pendant cinq semaines, en attendant la prochaine relève.
L’un s’appelle Ephraim Winslow – Robert Pattinson lui prête ses traits de moins en moins juvéniles, et son jeu de plus en plus spectaculaire –, l’autre se nomme Thomas Wake, le visage parcheminé, l’œil qui frise et la voix rocailleuse du toujours parfait Willem Dafoe. Voilà pour le décor.
https://www.youtube.com/watch?v=1CiROKK22mk
L’art du mensonge institué et de la vérité révélée
Mais ce que ce phare métaphorise, c’est d’abord le cinéma lui-même, art du mensonge institué et de la vérité révélée (A)24 fois par seconde, art de la nuit noire percée d’un rai lumineux provenant d’une petite cabine jalousement gardée.
https://www.youtube.com/watch?v=YYiTQMQxQtU
D’ailleurs, ce XIXe siècle finissant que Robert Eggers, le jeune prodige responsable de The Witch, choisit comme cadre temporel n’est-il pas concomitant à la naissance du cinéma ? The Lighthouse, un de ces films réclamant l’interprétation, serait ainsi l’histoire d’un projectionniste qui refuse à son apprenti le droit de monter dans sa cabine.
Ce dernier sue sang et eau, se coltine toutes les tâches ingrates, supporte flatulences et atrabile de son supérieur, mais rien n’y fait : la lumière (et donc la connaissance) lui demeure interdite.
Il faut accepter de délirer
Que faire ? Pour parler en termes deleuziens, dont l’analyse du capitalisme et de la schizophrénie dans L’Anti-Œdipe et Mille Plateaux pourrait servir de canevas théorique au film, le cinéaste passe quasiment deux heures à faire circuler en bocal fermé des flux de désirs ardents dont la folie constitue le point d’incandescence, ce moment où les fantasmes tous azimuts – de Pattinson surtout, affolant de tension sexuelle –, las de se prendre le mur (de l’autorité, de l’aliénation, de l’Atlantique), finissent par exploser en une gerbe libératrice et meurtrière. Alors seulement, la lumière sera.
En somme, nous raconte Eggers, pour vraiment savoir, il faut accepter de délirer. Mais on sait depuis Prométhée ce que deviennent les entrailles de ceux qui volent le feu de la connaissance : les aigles s’en régalent – à moins que ce ne soit les mouettes ?
The Lighthouse de Robert Eggers, avec Robert Pattinson, Willem Dafoe (E.-U., 1 h 49, 2019)
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