Précédé d’une polémique hors sujet lancée par Trump, cet affrontement farcesque et grotesque entre élite et prolos se signale par son opportunisme ricanant.
Une odeur de scandale plus ou moins fondée entoure la sortie longtemps attendue (puisque deux fois ajournée) du déjà très commenté The Hunt. Plus ou moins, car même si le film s’emploie effectivement à titiller son époque en étalant du sel sur la fracture des deux Amériques (il imagine un affrontement armé entre la bourgeoisie libérale et les rednecks de la Rust Belt), sa réputation de brûlot, entretenue depuis un an par une campagne com de gros forceur (“the most talked about movie of the year”, dixit… le trailer), est en revanche partie d’un quiproquo débilissime : un tweet posté en août dernier par Donald Trump, qui n’avait alors pas vu le film et l’a compris à l’envers.
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En gros, en découvrant dans la bande-annonce des millionnaires woke qui déversaient leur barbarie refoulée sur des stéréotypes trumpistes (prolos bourrus, podcasteurs conspirationnistes, blondes peroxydées…), le locataire de la Maison Blanche a pris le film pour un appel à la violence anti-redneck.
Une violence collective dénuée de sens
Evidemment, The Hunt est le contraire : la satire, d’ailleurs pas bien finaude, non pas d’une classe ouvrière mais d’une élite hors-sol, drapée dans un progressisme de façade, secrètement avide de lyncher les culs-terreux ignorants des Etats intérieurs. Un film qui se défoule donc moins sur “l’Amérique de Trump” qu’il ne la réhabilite, en esquivant ses stéréotypes pour renvoyer le gratin bien-pensant à sa propre intolérance et à son mépris de classe.
Repoussée donc une première fois à mars (moins à cause du tweet lui-même que d’une série de mass shootings en août 2019, qui aurait risqué de jeter un malaise sur la sortie de ce ball-trap humain), puis à fin juin à cause du coronavirus, la farce sanguinolente de Craig Zobel se dévoile donc enfin, et déçoit.
Car The Hunt, produit par le pape de l’horreur Jason Blum, donne en fait surtout l’impression de ne pas se prendre suffisamment au sérieux, ou alors seulement quand ça l’arrange : capable d’enfiler un bel habit de satire politique, et tout aussi bien de le retirer quelques minutes plus tard, pour se contenter d’un programme de comédie gore écervelée.
Le film entretient avec ses stéréotypes sociopolitiques un rapport très opportuniste et malveillant
Il y a, cela a été dit, un peu des Chasses du comte Zaroff (le motif de la chasse à l’homme comme symbole ultime de décadence aristocratique), mais il y a surtout beaucoup de Fortnite (un décor dévoilé comme une map de jeu “battle royale”, après une distribution d’armes de guerre) : une espèce de violence collective ludique et dénuée de sens, croulant sous les mauvais sarcasmes et se fichant finalement pas mal de qui elle tue, qui elle venge, qui elle juge et comment.
Le film entretient avec ses stéréotypes sociopolitiques un rapport très opportuniste et malveillant, camouflé sous une épaisse couche de “second degré” bien commode. Très loin de la virtuosité d’un Green Room ou du plus méconnu Red State dans son portrait du clivage rural américain, The Hunt en est un mauvais reflet ; il est en revanche un très bon reflet de l’ère de l’ironie permanente, et des fake news (à commencer par celle qui voudrait que Trump l’ait “censuré”). En cela, il a donc finalement gagné son pari : c’est bien le “film de son époque”.
The Hunt de Craig Zobel avec Betty Gilpin, Hilary Swank, Wayne Duvall (E.-U., 2020, 1 h 31)
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