Seth Rogen enfile avec une désinvolture irrésistible le masque du Frelon vert, cousu main avec élégance et éclat par le couturier Gondry.
Michel Gondry est-il un cinéaste à forte traçabilité ? Finalement pas tant que ça, et c’est ce qui pouvait arriver de mieux à son travail. Pourtant, Gondry a d’abord imposé la griffe “auteur” (vision personnelle du monde, signature ultra-identifiable – à base de trucages lo-fi, de maquettes animées et de nuages en coton) au grand terrain vague plus propice à l’anonymat de l’industrie du clip.
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Mais, étrangement, cette marque, Gondry n’a cessé de la brouiller dès lors qu’il a pénétré le champ qui a inventé l’auteurisme : le cinéma. Et ce, de multiples façons : en diluant sa manière visuelle (moins d’ambiance Oui-Oui/Playmobil), en se déplaçant sans cesse.
Organisme assez unique dans ses facultés d’adaptation environnementale, le cinéma de Gondry s’est acclimaté aux températures du cinéma américain indé chic à oscars (Eternal Sunshine…) comme à celle du film français d’auteur (La Science des rêves). Caméléonesque, il a pu délaisser la fiction au profit des genres antinomiques du simple concert filmé (Dave Chappelle’s Block Party) ou du documentaire typiquement français – à la Nicolas Philibert – (L’Epine dans le cœur).
Tout à cette frénésie à traverser les cloisons, il infiltre aujourd’hui le genre le plus contraignant qui soit : le blockbuster de superhéros.
Par-delà même la question de la réussite des films, le geste est passionnant. Parce qu’il affirme que le cinéma peut se trouver partout – dans les films les plus lourds comme les plus légers –, et parce que le moteur de cette mobilité est avant tout la curiosité – à toujours aller voir ailleurs.
Et, par ailleurs, le film est incroyablement réussi, probablement le plus beau de son auteur. C’est une superproduction légère comme une plume, gracieuse, où le brio plastique de Gondry est intact.
Ce brio, c’est par exemple une scène toute en split-screen (jusqu’à huit fenêtres à l’image) qui réussit à renouveler le genre avec une élégance inouïe. Ou encore une direction artistique somptueuse, très sixties, entre The Party et La Panthère rose (la baston domestique avec Kato, évoquant les combats kung-fu “amicaux” de Clouseau avec son majordome asiatique).
Mais il ne s’apparente jamais au commerce d’une franchise (façon Tim Burton qui décline jusqu’à l’écœurement et à échelle industrielle pharaonique sa petite fabrique visuelle très identifiable). Il se déploie entièrement au service de la verve comique de Seth Rogen, à la fois auteur du scénario, producteur et bien sûr show-man au devant de la scène.
Passé à la lessiveuse du nouveau comique hollywoodien, que reste-t-il du fameux Frelon ? Le Frelon vert est de toute façon un héros un peu bâtard.
Non issu d’un comic (mais d’une série radiophonique des années 30), il n’a évidemment pas la dignité généalogique d’un Batman – même si la présence de Bruce Lee, auquel le film de Gondry rend un furtif hommage, dans l’adaptation télé des années 60 lui a valu sa petite aura de culte. Rogen rééquilibre la relation avec le sidekick Kato pour la placer au centre d’une nouvelle comédie sentimentale entre hommes, entre chamailleries et passion fusionnelle post-SuperGrave.
Aux antipodes de la solennité des Batman de Nolan et de la figure du héros souffrant écrasé par la responsabilité (Batman, Spider-Man…), la gestion du bien public devient ici un kiff entre potes, un gros délire.
Etincelants de charme et avec une perfection de tempo sans faille, Seth Rogen et Jay Chou campent des justiciers par inadvertance, des enfants joueurs qui font les superhéros ; des sales gosses même lorsque dans un accès de rogne ils étêtent la statue d’une trop envahissante figure paternelle.
Au bout du compte, c’est sur ce terrain qui pourtant ne lui doit pas grand-chose (le scénario) que la voix de Michel Gondry trouve un écho : dans l’éloge aussi malicieux que joyeux, comme dans Soyez sympas, rembobinez, des puissances du pastiche et de l’amateurisme.
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