On a beaucoup glosé autour des résonances troublantes entre The Ghost Writer et la situation judiciaire de son auteur. Mais au-delà de ces échos bien réels, il y a d’abord et avant tout un film, magnifique.
A travers l’histoire de ce nègre (Ewan McGregor) qui doit réécrire les mémoires d’un ex-premier ministre britannique (Pierce Brosnan) et se retrouve pris dans une machination qui le dépasse, Polanski demeure fidèle à son cinéma paranoïaque, à son obsession de l’enfermement et du huis clos. Mais il s’inscrit aussi dans la meilleure veine hitchcockienne et en profite pour régler quelques comptes avec les Etats-Unis.
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Surtout, il s’acquitte de tous ces objectifs avec un savoir-faire, une inspiration et une élégance assez bluffants. Pas de gras dans cette histoire superbement menée où chaque scène est intéressante, à la fois en elle-même et dans l’économie globale du récit. Dès les premières minutes, Polanski distille une atmosphère prenante où la menace peut surgir à chaque recoin de plan, à chaque tournant de scénario.
Une grande partie du film est situé dans une maison isolée sur une île, décor superbe qui mérite à lui seul quelques lignes. Tenant à la fois du bunker high-tech et de la maison-témoin pour catalogue d’architecte, cette résidence où l’ex-premier ministre isole son nègre est toute en lignes géométriques, briques sombres et baies vitrées, surfaces mates et transparences.
Ouvertures et fermetures, horizons ouverts ou bouchés, corridors mystérieux et étages secrets, cette bâtisse sur littoral et plage privée n’est pas seulement un rêve de plaisancier, une folie de designer, mais un véritable objet-cinéma, une machine théorique. Entre ce qui est caché et ce qui est dévoilé au regard, sa dialectique architecturale est parfaitement accordée à un récit où les apparences sont trompeuses et où l’enfoui refait lentement surface, tel le cadavre du début déposé sur le sable par l’océan. Le motif du simulacre qui parcourt la fiction contamine aussi les procédés de mise en scène.
Comme l’île de Shutter island, la maison de The Ghostwriter est situé au large de Boston, probablement à Martha’s Vineyard ou Nantucket, hauts lieux de villégiature de la grande bourgeoisie east coast. Et comme chacun sait, Roman Polanski n’a plus mis les orteils aux Etats-Unis depuis 1977. Son Massachussetts est donc un composite de studio, de littoral allemand et d’effets numériques qui remplacent les bonnes vieilles « transparences » de l’âge d’or hitchcockien. L’artifice est à peine dissimulé : on sent que ce bout d’Amérique gothique (que l’on n’appelle pas pour rien la Nouvelle Angleterre) est ici une fabrication de cinéma, et on le sait puisque Polanski ne peut filmer là-bas. En même temps, c’est tellement bien fait que l’on s’y croirait. L’Amérique artificielle de Polanski n’est peut-être pas plus vraie que la vraie, mais elle est cinématographiquement tout aussi désirable. Du premier au dernier plan, The Ghostwriter est un bijou et rejoint illico les meilleurs films de son auteur.
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