Un garçon trop sensible, une femme délaissée, peut-être le film le plus émouvant des films de Minnelli.
Voici un des films les plus sensibles et les plus secrets du cinéma américain.
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S’avancer masqué sous les auspices de l’hospitalité (“Je vous offre du thé et de la sympathie”, dira l’héroïne du film) fait-il de Minnelli le cinéaste de la civilité ? Pas tout à fait. Peut-on être calme et audacieux ? Oui, sûrement.
Si les jeunes filles sont timides chez lui, elles sont traversées, l’âge mature venu, par quelque chose de tempêtueux. “Some came running.” Le spécialiste des comédies domestiques (du majestueux Chant du Missouri aux modestes Père de la mariée et Allons donc, papa !) se noue au chantre d’un romantisme radical pour être le grand portraitiste de la femme seule dont l’entièreté n’arrivera pas à s’accommoder des sommations de la société.
Le calme, donc, se déploie ici avec une sérénité veloutée. Sur un campus, un jeune homme (John Kerr) est la proie des moqueries de ses camarades. Excessivement sensible, il est considéré comme une femmelette par ses congénères qui aiment à donner dans la parade virile.
Harcelé, il est soutenu par la femme d’un prof de gym qui, par son écoute, desserre l’étreinte de la vie sociale. Bientôt, au creux d’une merveilleuse scène élégiaque dans la forêt, elle lui fera un cadeau qui lui donnera pour la vie l’assurance qui lui manquait, mais qui signera sa chute sociale à elle.
Le calme de la mise en scène, la splendeur raffinée des coloris, l’intimité des décors, l’ampleur des cadres permettent d’infuser un tact exceptionnel à ce film où les raisons de chacun sont traitées et reçues avec une égale compréhension.
Mais c’est un tact sans fragilité, et même un tact plein d’assurance, renforcé par une conviction : les réprouvés d’aujourd’hui seront les forts de demain, et Minnelli sera toujours du côté des boucs émissaires.
Le calme des apparences permet l’arrivée surprise de l’audace : le classicisme des personnages (une femme compréhensive quasi maternelle, un mari colérique, un jeune homme écorché) s’embrase sous l’effet d’une modernité inattendue (la femme s’émancipe au-delà de toute raison, le mari colérique est habité par le ressentiment, le jeune homme écorché a la transparence androgyne des êtres inachevés, les identités sexuelles conventionnelles cèdent sous le coup de la générosité sans préjugés des désirs) qui ouvre des abymes sous les pas des personnages.
Délicat dans sa manière d’approcher par menues touches la souffrance de chacun, audacieux dans sa façon de leur accorder in fine quelque chose de sauvage, le film crée une zone de mystère durable autour de ses personnages qui brillent comme des astres morts – ils ont vécu devant nos yeux, mais a-t-on tout compris d’eux ?
L’épouse compréhensive est jouée par Deborah Kerr, actrice britannique émigrée à Hollywood qui en avait ras le bol qu’on la choisisse pour des rôles d’aristo chichiteuse. A l’égal d’Ingrid Bergman, elle sait nouer la noblesse des traits, du maintien, de l’esprit (seul Kazan eut le mauvais goût de lui faire jouer le rôle d’une épouse acariâtre dans L’Arrangement) avec une intériorité passionnée qui lui fait jeter par-dessus bord les manières de la civilisation dont elle paraît être, de prime abord, l’ambassadrice.
Thé et sympathie, certes, mais le fond de la tasse laisse apparaître d’étranges dessins.
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