Une rêverie pornosoft entre femmes qui aiment les brimades SM et les papillons.
Avec Ben Wheatley (Kill List), Peter Strickland est un des cinéastes britanniques les plus passionnants du moment, apte à revitaliser le film de genre avec sa propre voix. Son Berberian Sound Studio rendait hommage à Dario Argento, en dépassant le fétichisme pour sonder la solitude de son personnage. The Duke of Burgundy se sert dans le film érotique européen seventies, chiadé et impur, à la Jess Franco. Voici un monde avec ses propres règles, une utopie presque SF, réduite à quelques maisons, un musée et une forêt, où ne vivraient que des femmes, passionnées de papillons et de conférence sur les papillons. Où le temps semble s’être arrêté en automne.
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Parmi ces lépidoptéristes, vivent Evelyn et son aînée Cynthia (Sidse Babett Knudsen, la Première ministre de la série Borgen, que l’on ne reverra plus jamais de la même façon). Au début, Evelyn arrive habillée en soubrette chez Cynthia, qui l’humilie à coups de brimades et séances SM. Le film dévoile ensuite une dynamique de couple plus retorse, où Cynthia répète cette même scène à la demande d’Evelyn, ivre de soumission et frémissante quand on parle de “toilettes humaines”. Mais la lassitude pointe entre Evelynla meneuse contrariée et Cynthia la metteur en scène maso.
Le talent de Strickland est d’emballer tout cela avec un impossible bon goût, de l’entêtant folk panoramique de Cat’s Eyes sur la BO à une séquence où Lynch re-visiterait L’Origine du monde de Courbet. Le film est voluptueux, opulent, riche dans ses textures (du mobilier du duo aux ailes des papillons qu’elles épinglent) comme dans ses omissions. Car si Berberian Sound Studio était un giallo sans meurtre, on titille ici sans nudité. “Ce que je trouve érotique, c’est la performance, pas la chair, nous disait le cinéaste à Paris en avril. Le nu n’est pas un problème mais on serait alors resté dans le pastiche d’un Jess Franco – qui est déjà une version sordide de Franju.”
Les actrices oscillent entre couches de dureté et de fragilité
Plus chargé d’émotions que prévu, The Duke of Burgundy est surtout un film sur les preuves d’amour (mêmes les plus atypiques) et comment elles modèlent les relations dominants/dominés. Chez Strickland, il n’y a pas beaucoup de différence entre la routine, les rites d’un couple et le fétichisme, qu’il porte sur le SM ou l’entomologie (remplacez ici les pinaillages sur les papillons par la cinéphilie, le foot ou le tuning, l’effet est le même). Avec ce qu’ils peuvent avoir d’excitant au début et de mortifère sur la fin.
Le film en rit aussi un peu élégamment – lorsque Cynthia trébuche sur ses répliques sexy, minutieusement écrites par Evelyn. Mais les actrices, elles, appliquent avec grâce et conviction de multiples couches de dureté et de fragilité qui tirent le film vers les apocalypses en chambre des Larmes amères de Petra von Kant et de Cris et chuchotements – incidemment, le nom d’un club SM à Paris. La boucle est bouclée.
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