Une simple romance triangulaire transformée en mélo impressionniste et arachnéen par le délicat Terence Davies.
Depuis trente ans, le cinéma surnaturel à effets spéciaux fait
la loi à Hollywood, titillant notre psyché en mal de sensations et de métaphysique. Idem pour les comédies potaches, défouloirs impertinents de notre civilisation.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Mais notre jardin romantique est de plus en plus négligé. Le cinéma mainstream est l’apanage des ados mâles. La fibre féminine, sensible et frémissante, reste au second plan.
Heureusement, il reste quelques gardiens inspirés du temple du mélo hollywoodien. Comme Todd Haynes aux Etats-Unis, Wong Kar-wai en Chine ou Terence Davies en Grande-Bretagne.
Ce dernier poursuit son exploration fantasmatique du passé, amorcée en 1988 avec Distant Voices, Still Lives. Il adapte cette fois une pièce de Terence Rattigan (intitulée Bonne fête, Esther en français) de 1952, qu’il a située à la même époque. Une pièce audacieuse (pour son temps) dont l’enjeu était plus ou moins la libération sexuelle.
Un thème que Davies a magnifiquement exprimé en réduisant au minimum le dialogue théâtral et en pratiquant une fusion atmosphérique
entre présent, passé, espace, temps, impression, récit, et musique (qui scande l’action).
“Par le truchement du fondu, le public comprend qu’on recule ou qu’on avance dans le temps. On peut donc se jouer de la linéarité et des souvenirs, ce qui influence ici toute la trame narrative” (Terence Davies).
Quand il se repose sur les seules vertus visuelles du cinéma (notamment dans la scène d’exposition : le suicide raté de l’héroïne, Hester), Davies n’est pas indigne d’Hitchcock. Il reste certes un poète délicat et impressionniste ; d’aucuns pourraient taxer son œuvre de tapisserie évanescente, voire d’ouvrage de dame.
Il n’en est rien. Davies est précieux, mais il sait transcender son fétichisme rétro (pour l’époque de son enfance) en approfondissant la dimension sensuelle et charnelle sur laquelle le cinéma de cette époque déposait un voile pudique.
Le film est en gros l’histoire d’une terrible désillusion : celle de l’épouse insatisfaite d’un juge âgé, qui a tout quitté pour aller se réfugier dans les bras d’un ex-pilote de la RAF, jeune et fringant, mais aussi vain et inconsistant. Sensibilité, sensualité, insatisfaction, déchirement romantique sont formidablement exprimés par Rachel Weisz, qui n’a jamais été aussi belle et tragique (c’est incontestablement son meilleur rôle), au point qu’à côté d’elle les interprètes masculins font tapisserie.
Sans doute pas un film majeur ni parfait, mais sans doute la plus nue et vibrante des adaptations rétro de récente mémoire.
{"type":"Banniere-Basse"}