Une famille de la communauté juive du Caucase doit faire face à un enlèvement et une demande de rançon. Un premier film puissant.
Peu de films collent aussi bien à leur titre. En russe, tesnota signifie “étroit, fermé, étanche”. Cela s’applique ici à une petite communauté juive vivant au nord du Caucase, dans une république russe peu connue : la Kabardino-Balkarie, proche de la Tchétchénie, une région très islamisée. C’est un des éléménts du contexte qui explique que cette population juive minoritaire soit repliée sur elle-même et solidaire. D’où cette notion d’étroitesse.
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Mais le plus réussi dans cette première œuvre d’un élève d’Alexandre Sokourov (producteur et “directeur artistique” du film) est que la mise en scène traduit elle-même cette notion de fermeture et d’étouffement. Les personnages semblent souvent tassés dans le cadre, notamment dans les séquences de repas bondées et animées. Cela explique le dilemme d’Ilana, l’héroïne tiraillée, qui se sent prisonnière de sa tradition et de sa famille, voire même de sa féminité – c’est clair dès la première scène où elle fait de la mécanique dans le garage de son père… Cette œuvre organique superpose différents paliers sociétaux et romanesques, allant du mariage arrangé au banditisme ambiant (l’enlèvement du fils, qui bouleverse la communauté), en passant par les nuits destroy d’Ilana avec son petit ami et ses copains musulmans.
L’architecture du film, riche et complexe, explore les motivations et états d’âme de personnages très distincts. Car si la communauté juive est le cœur du récit, et en particulier la famille d’Ilana, la problématique islamique est aussi très présente ; notamment dans une séquence de beuverie, d’une opacité faulknérienne, où les jeunes kabardes visionnent des cassettes VHS insoutenables, d’une véracité absolue, où des islamistes de la région égorgent des prisonniers russes. Les retombées récentes de la guerre de Tchétchénie nimbent le tableau général d’un voile trouble.
La trame romanesque (l’indécision et l’insatisfaction d’Ilana rétive au mariage arrangé par ses proches) est sous-tendue par un arrière-plan fort et réel. C’est d’autant plus méritoire que, pour des raisons budgétaires, les trois-quarts du film n’ont pas été tournés en Kabardino-Balkarie, mais à Saint-Pétersbourg.
Par ailleurs, ce film agile et fruste, qui colle à l’ambiance incertaine et crépusculaire de cette région du Caucase, avec une approche flottante et semi-improvisée – digne de certains Martin Scorsese des débuts –, démontre également aux puristes vintage que la pellicule 35 mm n’est pas le graal. Il a été tourné en vidéo HD (avec laquelle Sokourov lui-même a fait des merveilles) mais n’en donne jamais l’impression (clinique). Enfin un film russe qui sort des rengaines actuelles sur la bourgeoisie poutinienne, la corruption, la décadence culturelle… Cinéaste à suivre de près, absolument.
Tesnota – Une vie à l’étroit de Kantemir Balagov (Rus., 2017, 1 h 58)
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