Ce n’est l’un de ses moindres paradoxes: l’oeuvre si peu prolifique de Terrence Malick a connu ses dernières années un nouveau big bang qui a considérablement modifié sa vitesse de rotation. En seulement une demi-décennie (entre 2010 et 2015), Terrence Malick a tourné autant de films, à savoir quatre, que durant ses quatre premières décennies […]
Ce n’est l’un de ses moindres paradoxes: l’oeuvre si peu prolifique de Terrence Malick a connu ses dernières années un nouveau big bang qui a considérablement modifié sa vitesse de rotation. En seulement une demi-décennie (entre 2010 et 2015), Terrence Malick a tourné autant de films, à savoir quatre, que durant ses quatre premières décennies d’activié (deux films dans les années 70, 0 dans les années 80, un dans les années 90, un dans les années 2000). Après Tree of life (Palme d’or cannoise 2011) et A la merveille (qui avait un peu douché en 2013, la ferveur de pas mal de fan du plus secret des cinéastes), mais avant un nouveau film encore sans titre mais déjà tourné à découvrir dans les prochains mois, voici donc Knights of cup, présenté ce dimanche à Berlin en compétition officielle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Une bande-son comme un bain amniotique
Si depuis quelques années, Malick tourne si vite et autant, c’est peut être qu’il pense avoir trouvé la bonne forme. Ou la bonne méthode. Ou la bonne syntaxe. En tout cas, mis en place un système formel fort, extremement concerté, une sorte de langue, qui lui permet désormais de prendre la parole sans arrêt – au risque du ressassement et de la logorrhée.Cette langue cinématographique, ce drôle de sabir qu’il parle désormais à toute allure, consiste à ne laisser aucun plan durer, à pratiquer incessament les ruptures d’échelles (un plan sur un avion tout là-haut dans le ciel, puis raccord sur un insecte en très gros plan sur la terre), à multiplier les faux raccords qui fragmentent tous les gestes et les déplacements, à suspendre les scenes avant leur résolution dramatique… Et surtout à assourdir considérablement le bruit du monde. Entre les larges rasades de tubes de musique classique (en tête le Peer Gynt de grieg) et les multiples voix off égrenant les états d’âmes des protagonistes (« comment trouver un chemin des ténèbres à la lumière? », ce genre), la bande son est un bain amniotique, où le bruitage sonore du réel n’arrive plus que sous une forme ouaté et fantomatique.
Un montage plus symphonique que jamais
Tout n’est que collage d’instants fugitifs, micro sensations montées en mosaïques, poussière d’existence balayée aux quatre vents d’un montage plus symphonique que jamais. C’est comme si le compte instagram de toute une vie se trouvait pris dans un shaker et que des instantannées de l’enfance du personnage, des toutes ses histoires d’amour, de ses conflits professionnels étaient recrachés dans le plus grand désordre. Christian Bale est d’ailleurs un peu moins que le personnage central du film (en l’occurence un hipster de LA terrassé par la dépression et le doute existentiel), un peu moins que son interprète aussi. Tout juste le premier spectateur du film, qui se ballade les mains dans les poches de son élégant costume sombre et jette un air triste et las en contrechamps unique à tous les merveilleuses natures mortes malickiennes (un reflet dans une vitre, l’écume d’une vague, un chien dans une piscine en contreplongée sousmarine).
Si Christian Bale n’a rien à faire sinon déambuler l’air abattu pour dire le désarroi affectif, au moins est-il a l’image du début à la fin. Antonio Banderas n’a pas cette chance : il apparait 23 secondes. Et Natalie Portman ou Kate Blanchett quelques dizaines de minutes, intercalées dans le grand maelstrom d’image malickien où tout se vaut, l’humain et le non-humain, l’animé et l’inanimé.
Le film produit ses petites extases plastiques
Il y a un certain plaisir sensible, presque foetal, à se laisser bercer par le film, ses voix-off chuchotantes, son lit de grande musique, ses surfaces visuelles ondoyantes et son ballet de lumière. De ce point de vue, le film est nettement plus puissant que le précédent, le vraiment peu abouti A la merveille. Le film produit ses petites extases plastiques, fascine par sa radicalité têtue, sa façon opiniatre de tout désancrer. Le revers de ce fantasme de cinéma labile, liquide, est de ne pouvoir que glisser. On traverse le film dans le même état d’hébétude que le hipster dépressif incarné par Bale : à la fois là et pas là, étonné de tout et revenu de tout, dans un perpétuel état de détachement. Un peu nostalgique du temps (disons celui des Moissons du ciel ou du Nouveau monde), où le cinéma de Malick créait (avec les moyens plus prosaïques du récit, des personnages, de la dramaturgie…) plus d’attaches.
Une compétition berlinoise timide
Dans le paysage morne d’une compétition berlinoise timide (où meme Werner Herzog, avec son biopic de l’archéologue Gertrude Bell – jouée par Nicole Kidman- semble assagi), ce formalisme en roue libre a néanmoins le mérite de trancher. Et Darren Aronofsky, lui meme grand formaliste, n’est peut etre pas insensible au panache du geste. L’ours d’or sera remis le week end prochain.
{"type":"Banniere-Basse"}