Un très beau documentaire sur la reconversion terrienne d’un vieux pêcheur portugais.
Posté en figure de proue de son bâteau de pêche, Albertino cherche quelque chose à l’horizon. Seul, au milieu de l’eau calme, son visage brûlé par le soleil laisse entrevoir une certaine inquiétude. Est-ce la peur de l’orage qui approche ou celle de l’arrivée d’un nouveau monde qui s’esquisse déjà au loin ? Terra Franca, c’est le portrait de ce pêcheur de Vila Franca au Portugal, et de son existence qui balance entre terre et mer, entre le remous des vagues et les gentilles disputes à la maison, entre sa vie de vieux loup de mer, qu’il sait bientôt révolue, et son devoir de grand-père qui l’attend sur le rivage. Bientôt, les choses se précipitent. Albertino ne peut plus pêcher, car sa licence lui a été retirée.
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Plutôt que de faire de cet événement le sujet de son documentaire, la jeune cinéaste portugaise Leonor Teles préfère se concentrer sur la reconversion du pêcheur et sur sa nouvelle vie, cette fois exclusivement terrienne. Au fil de longues séquences filmées sobrement en plan fixe, Terra Franca nous immerge durant quatre saisons dans le théâtre intime de cette famille. Qu’elles soient plus ou moins banales, les scènes du quotidien (le travail de la mère dans un snack, l’arrivée très amusante d’un nouvel aspirateur dans le foyer, les conversations à table, le couple qui regarde la télé, les préparatifs puis le mariage de la fille aînée) sont toujours scrutées avec la même attention, la même bienveillance, la même pudeur.
Insistons aussi sur la délicatesse avec laquelle Leonor Teles parvient à s’effacer pleinement derrière ses personnages. Plutôt que d’éclabousser chaque plan de sa signature, la réalisatrice de 26 ans collectionne les séquences d’un beau naturel : le spectateur pourrait croire que la caméra a juste été posée là, entre le frigo et la table à manger, que rien n’est mis en scène, qu’il n’y a pas d’annonces, ni de clap, ni d’“action !”, ni de “coupez !”. C’est dans ce regard dépouillé, parfois espiègle, mais toujours à bonne distance, que jaillit la pleine et réconfortante chaleur d’un album de photos de famille que l’on ouvre.
Après João Salaviza (Montanha), Pedro Pinho (L’Usine de rien), Gabriel Abrantes et Daniel Schmidt (Diamantino, en salle le 28 novembre), Terra Franca est une preuve de plus de l’émergence d’une nouvelle et séduisante génération dans le cinéma portugais. S’ajoute à la liste le nom de Leonor Teles, dont il faudra chérir le cinéma autant qu’il chérit ses personnages, c’est-à-dire beaucoup.
Terra Franca de Leonor Teles (Por., 2018, 1 h 22)
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