Il fut le premier tueur en série du cinéma dans L’Obsédé de William Wyler. Ensuite, on l’a connu séducteur atypique chez Schlesinger, modèle du western spaghetti chez Narizzano, décadent chez Fellini, archange du stupre chez Pasolini, gangster métaphysique chez Frears et même requin de la finance chez Oliver Stone. Terence Stamp retrace son itinéraire singulier, celui d’un acteur culte aussi à l’aise à Hollywood que dans le cinéma de recherche.
Terence Stamp : Mon père alimentait la chaudière des bateaux. Un vrai boulot d’esclave. Je n’ai pratiquement jamais eu l’occasion de le voir durant la guerre, il rentrait tard le soir, exténué. Dès lors, nos rapports sont devenus très particuliers. J’étais resté dans le giron de ma s’ur et de ma mère : cette dernière était follement amoureuse de mon père mais, en son absence, elle avait reporté tout son amour sur moi. A son retour, mon père était quelque peu gêné par cette situation, trop de présence féminine à son goût, et son affection s’est reportée sur mon frère Chris, qui est devenu par la suite le manager des Who et le fondateur de Track Records, premier label à avoir enregistré Jimi Hendrix.
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Dans quelle partie de l’Angleterre avez-vous grandi
Je suis né dans le district de Bow, le c’ur du quartier cockney, à l’est de Londres, qui a été rendu célèbre par ce dicton : « la définition du cockney est née quelque part dans les cloches de Bow ». Notre rue a été bombardée trois fois par les Allemands, et à chaque fois nous avons dû changer de maison.
Quel genre d’éducationn avez-vous reçue ?
J’ai éprouvé très tôt un dégoût profond pour le système scolaire. Aller à l’école signifiait pour moi aller en prison. A cette époque, l’enseignement était surtout fondé sur un principe de listes où il fallait apprendre par
c’ur des centaines de dates ou de formules mathématiques. Je suis presque devenu autodidacte, mon éducation s’est faite en fonction de ce que je voyais ou de ce que je sentais. Le cinéma a joué un rôle capital dans ce processus. Lorsque j’ai appris à lire – assez tard, d’ailleurs, à 8 ans -, je me suis senti investi du droit de lire uniquement ce qui me plaisait.
Quand avez-vous décidé de devenir acteur ?
C’est le seul métier que j’aie jamais voulu exercer. Pendant très longtemps, il ne s’agissait que d’un fantasme. Le premier film que j’ai vu est Beau geste avec Gary Cooper, j’avais 4 ans. A partir de cet instant, je ne voyais plus quel autre métier je pouvais exercer. Je ne voulais pas encore devenir un acteur, mais je voulais être Gary Cooper. Lorsque mes parents ont acheté un poste de télévision, je me suis mis à discuter du jeu des comédiens, et mon père, qui était quelqu’un de très taciturne, m’a dit « Fils, ne me parle jamais de cela, les gens comme nous ne font pas des choses pareilles. » Il n’essayait pas de me faire mal, mais, au contraire, tentait de m’épargner une expérience qui serait douloureuse. C’est lorsque j’ai vu A l’est d’Eden et James Dean que mon fantasme d’acteur s’est transformé en volonté ferme et décidée. Je regardais quelqu’un qui me ressemblait, je pensais dans les mêmes termes que lui, alors que Gary Cooper, Cary Grant, Errol Flynn restaient des figures héroïques très éloignées de moi. Dean était mon alter ego et il devenait clair que mon devoir était désormais de devenir un acteur.
Comment vous y êtes-vous pris’
Je suis parti de chez moi, mais comme je n’avais pas d’argent, il me fallait décrocher une bourse pour vivre et payer mes études. Lors de mon second semestre à l’école de comédien, j’ai interprété lago dans Othello. Un agent très célèbre était venu pour superviser l’acteur qui tenait le rôle d’Othello, mais c’est moi qu’il a repéré. Il m’a trouvé du travail dans une pièce intitulée The Longest, The Short and The Tall, jouée dans la banlieue de Londres. Michael Caine était mon partenaire.
Comment avez-vous vécu le Londres des sixties, alors en pleine révolution musicale ?
Les sixties trouvent leur origine dans les années 30. C’est à cette époque que les masses ont pu avoir accès à l’école et à l’éducation. Au début des années 60, le cinéma anglais a pris un nouveau tournant, plus réaliste, s’intéressant à la classe ouvrière. Pour les incarner, il fallait des acteurs issus de ce milieu : Albert Finney, Richard Harris, Frank Finlay. J’ai profité de cette vague. Ce n’est qu’en 1964 que j’ai entendu parler des Beatles pour la première fois-je me souviens d’un documentaire dont la musique entonnait ces mots : « love, love me do ». J’étais sur le cul. La pop anglaise était à l’époque dominée par Cliff Richards et Petula Clark – autant dire qu’elle n’était pas encore née. La musique d’aujourd’hui doit un lourd tribut à celle des sixties, et c’est quelque chose que nous sentions très bien à l’époque. C’était le début du village planétaire, de la global music et d’une génération qui allait écumer monde entier. On essaye aujourd’hui de remettre en cause l’esprit des sixties, mais, selon moi, les valeurs de l’époque, la mentalité du village planétaire, n’ont pas pris une ride.
Les paroles du Waterloo sunset des Kinks étaient- elles inspirées par Julie Christie et vous ?
Absolument. Ray Davies a dit à mon frère que, lorsqu’il a écrit les textes de la chanson, il avait besoin d’une image mentale pour rendre les paroles et la musique homogènes. A l’époque, j’ai vécu une grande histoire d’amour avec Julie Christie et nous tournions Loin de la foule déchaînée. Ray Davies avait cette image de nous deux dans le film de Schlesinger, c’est pour cela que vous avez ces paroles : »When Terry meets Julie… »
Comment Peter Ustinov vous a-t-il engagé pour du Billy Budd ?
Il tenait absolument a engager un jeune acteur inconnu et il me voulait pour le rôle de l’ange, ce qui me paraissait incongru : il fallait vraiment qu’il ait passé totalement en revue tous les jeunes acteurs londoniens sans succès pour penser à moi. De fait, c’était le cas, et j’étais son dernier choix. Je suis venu à l’audition avec la confiance de ceux qui n’ont rien à perdre. Ustinov trônait littéralement. Mes réponses à ses questions ne semblaient avoir aucun effet sur lui, au point que je me suis arrêté de répondre. J’étais persuadé d’avoir tout foiré, sauf qu’Ustinov voyait Billy Budd comme quelqu’un qui perdait l’usage de la parole dès qu’il se trouvait confronté à autrui. Involontairement, j’avais tapé dans le mille. Mais Ustinov hésitait entre moi et trois autres acteurs. Sa femme à l’époque était Suzanne Cloutier, l’actrice qui interprète Desdémone dans Othello de Welles. Suzanne Cloutier avait eu Gérard Philipe comme amant, et là, nouveau coup de pot, je lui rappelais Gérard Philipe. C’est elle qui a insisté auprès de son mari pour qu’il m’engage.
Pourquoi William Wyler, vous a-t-il choisi pour jouer le rôle du psychopathe dans L’Obsédée ?
Je n’avais pas travaillé depuis Billy Budd et Le Verdict avec Simone Signoret et Laurence Olivier. J’avais besoin de tourner, mais je craignais de faire le mauvais choix. Les producteurs qui m’ont donné les épreuves du livre étaient persuadés que j’étais l’acteur idéal pour ce rôle . Le livre était un chef-d’ uvre, mais je pensais ne pas correspondre du tout au personnage qui est plutôt quelqu’un d’effacé. Les deux producteurs ont appelé mon agent durant quatre ou cinq mois, sans succès, jusqu’au jour où ils ont réussi à me joindre directement en avançant l’argument suivant : « William Wyler est d’accord pour diriger le film, vous n’allez quand même pas dire non à William Wyler ? « Pour moi, Wyler est l’un des plus grands metteurs en scène de l’histoire du cinéma. Je leur ai demandé qui allait interpréter la fille et, vu qu’ils n’avaient pas encore effectué leur choix, je leur ai proposé de m’occuper des auditions avec eux. Quelques jours plus tard, Wyler débarque à Londres, j’ai rendez-vous avec lui dans le building de la Columbia, il sort alors d’un bureau et me demande « Avez-vous vu les tests Je n ai pas encore eu le temps de les voir, j’étais trop occupé à vous regarder. » Je lui fais alors part de mes réticences vis-à-vis du personnage tel qu’il est décrit dans le livre, et, là, il me glisse dans l’oreille – je me souviens encore de l’odeur de son parfum – « Je ne vais pas suivre le livre. «
Comment expliquez-vous qu’un metteur en scène de la stature de Wyler – il venait d’avoir l’Oscar pour Ben Hur- ait accepté un projet aussi risqué et particulier
C’est ce qui rend Wyler si unique, il ne se répétait jamais. Il avait 60 ans: et quand je lui ai demandé ce qu’il allait faire du livre, il m’a répondu « Je vais tourner une formidable histoire d’amour. » Ce type de 60 ans va tourner la première histoire de serial-killer au cinéma et il veut en faire une histoire d’amour ! A propos de serial-killer, l’année dernière, je me trouvais en Californie, l’une de mes amies faisait une grande fête, et un type m’a pratiquement sauté au cou : « Je suis le spécialiste mondial des serial-killers, j’ai écrit le livre le plus important sur Ted Bundy ; Thomas Harris s’est inspiré de Bundy pour le personnage de Lekter dans Red dragon et Le Silence des agneaux. « Je lui ai évidemment demandé s’il avait connu Ted Bundy : « Et comment ! C’est pour cela que je voulais vous rencontrer, vous étiez son héros. Il avait la cassette de L’Obsédé, le livre, il a bâti toute sa carrière autour de ce film. « J’étais effrayé. Quand je pense que Jonathan Demme ne voulait même pas me faire auditionner pour le rôle de Lekter dans Le Silence des agneaux, alors que j’étais le modèle de Ted Bundy !
Pourquoi avez-vous quitté l’Angleterre pour aller travailler en Italie ?
Loin de la foule déchaînée fût un gros échec commercial et critique – ce qui est désolant quand on voit à quel point c’est un beau film, qui tient superbement le coup. Ceci dit, je n’ai pas vraiment quitté l’Angleterre, c’est plus compliqué. En fait, j’étais parti aux Etats-Unis pour tourner un western, Blue de Silvio Narizzano. Tout le monde a oublié ce western absolument superbe. Au départ, il était écrit pour Robert Redford, mais quelques jours avant le début du tournage, Redford a renoncé. Je connaissais Narizzano, et il m’a simplement demandé « Voudrais-tu le faire ? » Je n’avais pas lu une seule ligne du scénario mais je me suis dit « Un western ? Intitulé Blue ? Ecrit par Silvio Narizzano. C’est bon. » Un film magnifique, l’un des plus beaux que j’aie tournés.
Comment passe-t-on de Blue à Fellini ?
Je suis naturellement châtain. Dans Blue, on m’avait teint les cheveux en blond platine. De nombreux acteurs de western spaghetti ont ensuite copié mon look – notamment Terence Hill, qui a aussi chouré mon prénom. Le vrai nom de Terence Hill est Giovanni Carbonara (Mario Girotti en fait) ou quelque chose dans ce genre (rires)… Bref, après Blue, je suis revenu en Angleterre. Fellini était à Londres à ce moment-là et dînait par hasard dans un restaurant où se trouvait Peter O’Toole. Peter avait un peu bu, il est allé à la cuisine, s’est habillé en serveur pour venir servir Fellini. Les présentations étaient faites, Fellini et O Toole ont papoté toute la soirée. Plus tard, on a proposé un film à sketches à Fellini, lui laissant entendre que les autres réalisateurs seraient Orson Welles et Bunuel. Fellini a tout de suite accepté. Six mois plus tard, la production est venue lui dire « On n’a pas eu Welles, on n’a pas eu Bunuel, mais on vous a, vous, Fellini. » Fellini s’est quand même mis à écrire le scénario de son histoire, pour Peter O’Toole. Ça parlait d’un grand acteur anglais shakespearien, porté sur la boisson, qui venait en Italie pour tourner un western spaghetti financé par l’Eglise catholique (rires)… Pendant l’écriture, Fellini informait O’Toole qui réagissait très positivement et n’arrêtait pas de le congratuler. Une fois terminé, Fellini lui a envoyé le script. Silence radio. Puis, une nuit, Fellini reçoit un coup de téléphone d’O’Toole : « Ah Federico, tu vas me détester. Je ne vais pas faire le film. « A un mois du tournage, il y avait comme une urgence. Fellini a contacté un directeur de casting londonien et lui a demandé « Trouve-moi l’acteur anglais le plus décadent qui soit. « Et Fellini s’est retrouvé à choisir entre James Fox et moi. Dans ma carrière, trois cinéastes m’ont vraiment marqué : Ustinov, Wyler et Fellini.
Et Pasolini, avec qui vous avez tourné Théorème ?
Pasolini était un très grand artiste, mais il était l’opposé de Fellini sur tous les plans. Fellini était un être chaleureux ; Pasolini ne m’a jamais adressé la parole. Pour communiquer avec moi, il envoyait un assistant, ou bien Laura Betti.
Quand vous avez lu le scénario de Théorème, avez-vous décidé immédiatement de jouer dedans’
De quel scénario vous me parlez ? II n’y avait pas le moindre scénario ! Vous savez, j’étais amoureux de Silvana Mangano (actrice de Théorème), je l’avais découverte quand j’avais une douzaine d’années dans Riz amer. Elle a troublé toutes les nuits de mon adolescence. Avant Théorème, j’étais venu à Rome afin de faire quelques travaux de doublage pour Fellini. Je me baladais dans les rues avec mon frère Chris et nous sommes tombés par hasard sur le costumier du film de Fellini. Il était avec une femme, c’était Silvana Mangano. J’ai failli tomber dans les pommes (rires)… Silvana m’a dit que je serais parfait pour le prochain film de Pasolini. Je navals jamais entendu parler de ce Pasolini, mais mon frère Chris n’en pouvait plus : pour lui, Pasolini avait l’air dix fois plus important que Silvana Mangano (rires)… Pasolini n’aimait pas les acteurs, mais il a dû se dire que, avec Terence Stamp, il obtiendrait plus d’argent pour son film. Il est venu à Londres avec son producteur, Franco Rossellini, le neveu de Roberto. Pasolini racontait l’histoire de Théorème, Rossellini me la traduisait. Ce qui donnait : « C’est un film sur une famille bourgeoise milanaise. Il y a le père, la mère, le fils, la fille et la femme de ménage. Dans cette maison bourgeoise arrive un jour un invité, d’Angleterre. L’invité fait l’amour à chacun et s’en va. L’invité, c’est ton rôle. » Très bien, ça me convenait (rires)… C’est l’unique conversation que j’aie jamais eue avec Pasolini. Cela dit, j’aime beaucoup le film. Et je suis fier d’être le seul acteur anglais à avoir travaillé avec lui.
En acceptant le rôle de Théorème, ne craigniez-vous pas d’être coincé dans une certaine image ?
J’ai toujours eu en tête de ne pas me répéter. J’ai toujours tenté de choisir des rôles ou des films qui étaient des premières en leur genre Billy Budd était une première. C’est très facile de jouer les méchants vous me comprenez ? C’est très facile de faire des films sur la décade la corruption, la haine, le mal… C’est autrement plus ardu et rare de réussir un film sur ce qu’il y a de plus positif dans l’âme humaine.
C’est pour ça que si peu de cinéastes s’y collent. Citez-moi des films contemporains qui traitent du meilleur de l’être humain – il y en a peu, comparés à tous ces machins à la Rambo, Stallone, Mickey Rourke… Moi, quand j’ai fait L’Obsédé, c’était le premier film sur un serial-killer. Puis, Modesty Blaise était la première adaptation d’une bande dessinée. J’ai ensuite fait Blue, le genre de western que tout acteur rêve de tourner. Puis, j’ai travaillé avec Fellini. Combien d’acteurs anglo-saxons auraient fait ça ? Tout le monde m’a dit « Tu as sacrifié une carrière hollywoodienne pour partir à Rome ! Tu es fou ! »J’étais interloqué : « Je n’ai pas sacrifié ma carrière. Quel acteur de 17 ans oserait refuser un film avec Fellini ? »
Entre 1968 et 1978? vous n’avez tourné que quatre fois. Que s’est-il passé ?
Je voulais prendre un peu de recul par rapport à tout ça, réfléchir à mon métier. Je voulais aussi redémarrer ma vie sur de nouvelles bases. Au départ, mon rêve était de devenir un acteur de cinéma. Mais je pensais, naïvement, qu’être acteur résoudrait tous mes problèmes existentiels. Evidemment, ce ne fût pas le cas. J’avais dépensé toute mon énergie dans cette activité, j’avais tout donné dans ce but et je ne m’étais jamais posé la question : une fois que je serai devenu un acteur de cinéma, que deviendrai-je ensuite, qui serai-je Non seulement je suis devenu acteur, mais, qui plus est, une star. Et cette vie est devenue un boulet. C’était comme si j’avais fumé de l’opium pendant dix ans. Les tournages qui s’enchaînent, le glamour, l’argent, une existence complètement déconnectée de la réalité. Après dix ans de cette vie, je me suis rendu compte que je n’avais aucune réponse à toutes les questions profondes de l’existence. En outre, ma carrière était un peu liée aux swinging sixties. Quand elles ont décliné, tout d’un coup, on ne m’offrait plus de rôles si passionnants. Alors j’ai pris mes distances, j’ai voyagé, je me suis consacré à ce que je n’avais pas eu le temps de faire. Cela dit, je dois vous avouer une chose: je n’aurais jamais cru que je resterais si longtemps au chômage (rires),.. Pendant cette période, vous pouvez voir mon nom au générique de films au-delà de l’entendement, mais j’étais complètement fauché. J’appelais mon agent : « Qu’est-ce tu as pour moi ? » « Euh, un truc intitulé Strip-tease, tournage aux Canaries' » « Parfait, je prends. » (rires)…
Vous êtes également apparu dans de grosses productions hollywoodiennes, comme Superman.
C’était mon come-back. Tout d’un coup, je tournais trois films en même temps : Superman I, Superman II et Rencontres avec des hommes remarquables de Peter Brook ! On ne pouvait pas être plus commercial que Superman et plus artistique que Péter Brook. Une situation totalement schizophrène ! Finalement, c’était business as usual pour Terence (rires)?
Vous avez continué cette carrière « schizo » en alternant les grosses productions comme Le Sicilien ou Wall Street et les petits films indépendants comme The Hit de Frears. En termes de travail, voyez-vous une différence essentielle entre ces deux types de films ?
Sur le plan du travail de comédien, il n’y a aucune différence. Evidemment, quand vous tournez dans Wall Street, il y a un gros budget qui vous rend la vie plus confortable. Mais j’ai tourné il y a peu de temps dans Priscilla, film au budget dérisoire, et je ne me suis jamais autant marré. Un tournage, c’est comme partir quelques semaines sur un yacht : si vous êtes coincé avec une bande d’imbéciles, vous êtes impatient d’arriver à quai ; si les gens sont fantastiques, vous ne voulez jamais accoster.
Sur The Hit, étiez-vous pressé d’accoster ?
Pas du tout, c’était encore une nouvelle expérience. Frears n’avait plus fait de long métrage au cinéma depuis vingt ans ; moi, je n’avais pas tourné dans un film anglais depuis 1969. Pour tous les deux, c’était un genre de come-back. Frears est un talent extraordinaire et mes partenaires (John Hurt, Tim Roth, étaient de fabuleux acteurs. J’ai toujours pensé que The Hit était le meilleur film de Frears, bien plus intéressant que toutes ses productions américaines du style Liaisons dangereuses. C’était une comédie noire, très moderne dans le ton et la mise en scène.
Que s’est-il passé avec Stranger in the house, le film que vous avez réalisé vous-même ?
Une expérience bizarre. Il y avait cet Italien qui avait un scénario et de l’argent. J’ai commencé à tourner et, soudainement, l’Italien a changé d’avis. Mais je ne regrette rien, c’était une bonne expérience de passer de l’autre côté de la caméra. Je me suis rendu compte que, le plus difficile, c’est la préparation : casting, repérages, constitution de l’équipe, etc. Après ça, le tournage est un plaisir et j’étais frustré qu’on me l’enlève au bout de quinze jours. Mais je n’avais jamais nourri le fantasme de devenir metteur en scène, c’est juste une occasion qui s’est présentée. Beaucoup d’acteurs sont passés à la réalisation, sans doute parce qu’ils n’étaient pas satisfaits des rôles qu’on leur proposait, peut-être parce qu’ils pensaient prendre plus de plaisir de l’autre côté de la caméra. Moi, je sais que ce n’est pas vrai, je pense que les réalisateurs ont moins de tranquillité que les acteurs.
Comment vous êtes-vous retrouvé dans le film de Bernard Rapp que vous tournez actuellement
C’est le premier projet véritablement européen que l’on me propose : c’est-à-dire que nous tournons deux versions, une en français et une en anglais, ce que je trouve très intrigant. Le script est magnifique et mon rôle est très intéressant : une histoire qui se passe dans le milieu de l’édition. Encore une fois, c’est un genre de première : combien de films se passent dans les milieux littéraires ?
Que pensez-vous de votre statut docteur culte ? Avez-vous parfois des regrets quant à votre carrière
Je suis très heureux d’avoir traversé le monde d’Hollywood et celui des auteurs européens. Parfois, j’ai des regrets, quand je n’ai pas le premier rôle dans un film comme Le Nom de la rose : j’aurais vraiment aimé y jouer, mais évidemment, je ne suis pas 007 (Sean Connery, tête d’affiche du Nom de la rose). Il y a certains rôles que je ne peux pas obtenir et cela peut me frustrer. Par exemple, le rôle de Valmont dans Les Liaisons dangereuses était écrit pour moi : mais je ne faisais même pas partie de la liste des postulants. A ce point de ma carrière, je m’estime au sommet de ma forme et de mes possibilités, mais, hélas, il y a des gens du milieu que je ne peux même pas approcher. Mais, d’un autre côté, ma vie et ma carrière sont tellement intéressantes. Si j’étais resté à Hollywood dans les années 60, je n’aurais jamais rencontré Fellini ou Pasolini. Des jeunes gens font encore la queue aujourd’hui pour voir L’Obsédé ou The Hit. Du coup, ma frustration est très ténue, elle ne m’empêche pas de dormir la nuit. La carrière que j’ai connue était sans doute ma destinée.
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