Refusant le confort d’un succès consensuel, Manuel Poirier ne craint pas de prendre à contre-pied un million et demi de spectateurs et livre, comme d’autres sortiraient un album sans single, un film sans histoire, exempt aussi de la radicalité qui rehausse Kid A ou les territoires de Sharunas Bartas, mais néanmoins traversé d’une multitude de […]
Refusant le confort d’un succès consensuel, Manuel Poirier ne craint pas de prendre à contre-pied un million et demi de spectateurs et livre, comme d’autres sortiraient un album sans single, un film sans histoire, exempt aussi de la radicalité qui rehausse Kid A ou les territoires de Sharunas Bartas, mais néanmoins traversé d’une multitude de séquences in limbo. Evidemment, les tenants du tout scénario mais également d’autres chapelles critiques risquent d’affûter leur désamour, comme l’attestent les réactions pour le moins tiédasses qui filtraient au sortir des projections. On se gardera de les suivre sur ce terrain. Librement inspiré de Dimanches d’Août de Modiano, Te quiero se contente d’en ponctionner non la moelle mais la trame (le vol de la Croix du Sud, diamant noir, la fuite et la rencontre avec un couple ambigu et fantomatique), intrigue famélique qui ne manque pas d’entraîner parfois le film aux confins d’ingrates dramatiques policières, voire, par l’adjonction répétée de maladroites scènes de cul, vers l’esthétisme vulgaire-chic des moites bandes erotico-soft délivrées par M6 le dimanche. Or, dans le roman de Modiano, on peut également lire cette phrase, viatique dont semble s’être bardé Poirier : « Dès le début, ce n’était qu’une question d’ambiance et de décor« . Et le film, sur le modèle d’une exosmose, a tôt fait de s’échapper d’un système fermé, évidant son récit et en asphyxiant les péripéties, pour se concentrer uniquement sur le dépaysement, arpenter à l’aveugle les ruelles de Lima (on pense pas mal à Dans la ville blanche de Tanner, référence noble), remonter sans visée touristique le cours d’une source amniotique, et être à l’écoute des « mondes imaginaires et voix de l’éther » (pour reprendre le sous-titre d’Ocean of sound, l’ouvrage érudit de David Toop sur l’ambient). L’une des bonnes idées de Poirier est, comme pour la belle scène de la fête d’anniversaire, de voiler de gaze les échanges de propos, de ne jamais céder au recours du sous-titrage pour les passages en espagnol, ou de lisser les repères géographiques, plongeant ainsi le spectateur à la perception altérée dans la peau d’un voyageur sans bagages, démuni et déraciné, jamais rassuré quant au crédit et à la confiance qu’il pourrait accorder aux figures rencontrées. L’apparence spectrale des comédiens contribue à l’établissement d’une atmosphère vaporeuse qu’une conclusion pour le moins énigmatique ne saurait dissiper. Délicieusement jet-lagué, on consent alors sans effort à retourner au film la déclaration de son titre.
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