Deux chefs-d’œuvre de Yasuzō Masumura de 1966 ressortent en salles dans une version restaurée.
Sans être un membre à part entière de la Nouvelle Vague japonaise, Yasuzō Masumura appartient à la même génération de cinéastes que Nagisa Ōshima ou Shōhei Imamura. En plus de 50 films, il a construit une œuvre transgressive, formellement splendide, quelque peu méconnue en Europe.
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Heureusement, l’actualité nous offre une séance de rattrapage avec deux de ses films majeurs, Tatouage et L’Ange rouge, réalisés tous deux en 1966, qui ressortent dans les bonnes salles.
Conte fantastique et fable féministe
Le premier, Tatouage, est adapté d’un roman de Jun’ichirō Tanizaki. C’est une splendeur colorée, une sorte de rape and revenge très cruel et non dénué de perversité. L’argument en est assez simple : une jeune femme de bonne famille, qui a fui son milieu familial avec son jeune amant, est vendue à un proxénète et devient une geisha. Détail : un artiste lui a tatoué une énorme araignée à tête de femme sur le dos. Ce tatouage devient peu à peu l’image d’un démon qui possède l’esprit du personnage féminin et la pousse à se venger brutalement des hommes qui l’ont humiliée.
Le film entre alors dans un processus de destruction généralisée, entraîné dans une spirale dévorante qui mènera tout le monde à sa perte, y compris la femme tatouée et son jeune amant. Tout à la fois mélodrame sadien, conte fantastique et fable féministe, Tatouage est habité par une folie qui grandit à mesure que le récit avance. Mais cette folie se traduit par une mise en scène très (re)tenue, à l’opposé des expérimentations formelles d’Ōshima, à la même époque. Tout se passe comme si la déflagration perverse, mêlant l’amour et la mort jusqu’à leur dernière extrémité, était d’autant plus puissante qu’elle se donnait à voir dans une forme incorruptible.
Un film de guerre réaliste et stylisé
Le second, L’Ange rouge, est également habité par une puissante figure féminine. Mais cette fois, Masumura nous plonge, en scope et en noir et blanc, dans un film de guerre qui figure parmi les plus pessimistes jamais réalisés. L’héroïne de ce mélodrame est une infirmière qui tente de soigner les nombreux blessés entassés dans un hôpital de campagne, en 1939, pendant la guerre sino-japonaise. Masumura s’intéresse moins au conflit qu’à ses effets dévastateurs sur les personnages de ce récit tragique.
Le point central de L’Ange rouge, c’est l’amour qui naît entre l’infirmière et un médecin qui a perdu toute foi en l’humanité. Le film, à la fois très réaliste et très stylisé, joue admirablement de l’écran large et ne nous épargne rien des horreurs de la guerre, notamment à travers une série d’amputations plutôt impressionnantes. Il fait surtout le portrait d’une femme qui se transforme en une figure mythique, une femme qui, après avoir été la victime d’un viol, tente de se sauver et de sauver les autres par un amour sublime.
La présence dans les deux films d’Ayako Wakao, l’actrice de prédilection de Masumura, n’est pas pour rien dans leur indéniable grandeur. Dans Tatouage comme dans L’Ange rouge, elle est le fascinant pivot de ces deux contes cruels, comme la double incarnation du bien et du mal, magnifiée par la mise en scène d’un cinéaste qu’il est idéal de découvrir à travers ces deux films uniques.
Tatouage et L’Ange rouge de Yasuzō Masumura, en salles le 2 novembre.
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