[Mise à jour du 21 avril ] : Monte Hellman est mort mardi 20 avril 2021 à 91 ans. Cinéaste radical et capital des années 70, il avait réalisé quelques-uns des plus beaux films du cinéma américain.
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Monte Hellman est un des cinéastes les plus importants du cinéma américain, mais aussi un des plus étranges et secrets, dont l’immense réputation dans le monde entier (et dans son propre pays) n’a pourtant pas dépassé le cercle des cinéphiles et des cinéastes (Peckinpah, Tarantino, Stévenin), contrairement aux autres auteurs de sa génération, comme Coppola ou Bogdanovich. Monte Hellman appartient à cette promotion de cinéastes cinéphiles des années 60, étudiants plus ou moins libertaires qui firent leurs armes chez Roger Corman en occupant tous les postes sur des bandes très fauchées et en exécutant les basses uvres (réécriture, remontage) sur des films de science-fiction ou de délinquance juvénile.
Le premier film signé par Monte Hellman est une production Corman, The Beast from the Haunted Cave (1959), une histoire de gangsters et de monstre cavernicole. Le résultat est bizarre, et on peut déjà y distinguer, avec pas mal d’indulgence, l’originalité du jeune cinéaste. Cinq ans plus tard, Hellman met en scène deux petits films de guerre et d’aventures aux Philippines avec son ami Jack Nicholson, à la fois acteur et coauteur : Back Door to Hell et Flight to Fury. Le duo a ensuite un projet beaucoup plus ambitieux de film intimiste sur le modèle des nouvelles vagues européennes, mais Corman trouve le sujet (l’avortement) trop risqué commercialement. Il leur propose de faire un western à la place, et pourquoi pas deux westerns (à condition d’utiliser le même budget, pingrerie légendaire oblige).
Deux westerns philosophiques
C’est ainsi que naîtront The Shooting et L’Ouragan de la vengeance, tournés dans le désert de l’Utah, qui marquent la véritable naissance de l’ uvre de Monte Hellman. Les deux films ont pour thème commun la violence, déjà traité dans plusieurs chefs-d’ uvre du genre signés Anthony Mann ou Samuel Fuller, mais la forme adoptée par Hellman est profondément révolutionnaire. The Shooting est un essai métaphysique sur la mort, dans lequel des personnages avancent inexorablement vers leur destin, longtemps mystérieux et imprévisible, et qui prend dans les ultimes images une tournure absurde. Longue traversée allégorique du désert (certains plans évoquent La Cicatrice intérieure ou Gerry), récit minimaliste (une poignée d’acteurs et de chevaux, la nature comme seul décor), The Shooting surprend également par une utilisation expérimentale de la musique et du ralenti (ou plutôt de la décomposition de l’image) dans sa dernière séquence. Hellman invente le western critique, et se distingue des relectures maniéristes, baroques ou psychanalytiques proposées à la même époque par Sergio Leone, Sam Peckinpah ou Arthur Penn. Il n’y a chez Hellman aucune volonté de démystification, parodique ou politique. Au contraire, il substitue aux mythes positifs du western hollywoodien (la conquête de l’Ouest, les nouvelles frontières, l’aventure) d’autres mythes, plus proches des concepts philosophiques, tels que la mort, le néant, l’inquiétude et la confusion.
Ces concepts seront à nouveau illustrés dans L’Ouragan de la vengeance, sur un canevas plus classique. Ce titre est sans doute moins radical dans sa forme que The Shooting, mais il distille la même impression d’intellectualisme attaché à un profond sentiment de concrétion. Hellman et son scénariste Nicholson font des recherches sur les us et coutumes des cow-boys, s’inquiètent de la véracité du moindre geste ou vêtement, poussent le souci du réalisme jusqu’à écrire les dialogues dans la langue de l’époque, ce qui ajoute à la dissonance du film. Cette histoire de deux hommes pris par erreur pour des bandits et traqués par des vigiles confirme le goût de Monte Hellman pour les situations absurdes et révèle un sens très pessimiste de la fatalité. Acculé par ses poursuivants, un des cow-boys tuera un homme et deviendra ainsi le hors-la-loi avec lequel il avait été confondu.
Ces deux westerns ne rencontrent aucun succès public, mais impressionnent la critique internationale. La carrière de Monte Hellman semble lancée. La contre-culture est à la mode. C’est l’époque où les studios, en perte de vitesse et déboussolés par les attentes d’un public jeune et libertaire, décident de faire confiance à de nouveaux auteurs et de leur confier des projets ambitieux ou personnels. L’immense succès d’Easy Rider de Dennis Hopper invite les patrons hollywoodiens à faire confiance à ces rebelles aux dents encore plus longues que les cheveux, mais plutôt doués (Coppola, Scorsese, De Palma, Friedkin). Monte Hellman est certes chevelu, mais davantage réputé pour son intégrité et son exigence que pour son arrivisme.
Un road-movie nihiliste
Lorsque Universal lui donne carte blanche pour réaliser Macadam à deux voies, une histoire de courses de voitures trafiquées, il propose à l’écrivain Rudolph Wurlitzer de réécrire le scénario. Hellman tourne le film dans l’ordre chronologique absolu, et les comédiens ne savent pas ce qui les attend le lendemain. Cette méthode a vite fait de les déstabiliser, d’autant plus que ce sont des non-professionnels (le chanteur folk James Taylor et le batteur des Beach Boys Dennis Wilson), à l’exception du grand Warren Oates, comédien fétiche de Monte Hellman et Sam Peckinpah. Macadam à deux voies est un road-movie existentiel dans lequel un chauffeur et son mécanicien, à bord d’une Chevrolet ’55 customisée, rencontrent une fille sur la route et entrent en rivalité (à propos de la fille, la voiture, la vitesse, la jeunesse, la liberté…) avec un autre conducteur, un play-boy plus âgé à bord d’une Pontiac GTO.
https://www.youtube.com/watch?v=i96B82XdP6A&ab_channel=Cin%C3%A9sorbonne
Macadam à deux voies est le plus beau voyage de l’histoire du cinéma (avec Profession : reporter d’Antonioni, interprété par Jack Nicholson un hasard ?). C’est aussi le plus désespéré. Les voyageurs ne sont guidés par aucun but ; le trajet n’est pas l’occasion d’une découverte de soi, ni du monde, encore moins des autres. Les protagonistes n’ont pas de nom, désignés par leurs fonctions (« The Driver », « The Girl », « The Mechanic »). Les deux voitures apparaissent au générique de fin dans la distribution, avec les comédiens. La fille passe indifféremment entre les bras des trois hommes, et d’une voiture à l’autre. Ni fuite, ni quête, le voyage en voiture est ici l’histoire d’un effacement du sens, qui ne débouche même pas sur la mort (trop romantique !) mais sur la disparition, non pas des personnages toujours au volant mais du film lui-même, qui soudain se fige et brûle dans une simulation d’accident de projection.
Trente ans de traversée du désert
Chef-d’ oeuvre absolu du cinéma américain des années 70, Macadam à deux voies est un échec sans appel qui compromet gravement la carrière de Monte Hellman. Le cinéaste n’est pas comme Cimino un artiste maudit brisé dans son élan mégalomane, mais un auteur qui n’arrive presque plus à faire des films, par malchance et inadaptation. Entre 1971 et aujourd’hui, Monte Hellman n’a tourné que quatre films. Cockfighter (l’un des plus beaux rôles de Warren Oates) est bradé par Corman qui le trouve anticommercial, Liberty 9 China 37 est un western italien passé inaperçu, Iguana un nouveau chef-d’ uvre, histoire de piraterie et de sexe tournée au Portugal, entre Stevenson et Sade, passé inaperçu lui aussi. Le dernier, Silent Night Deadly Night 3, deuxième suite d’un film d’horreur de série Z, est sorti directement en vidéo.
Faute de mener à bien ses projets personnels, il se cantonne depuis les années 70 à des activités indignes. Il se fait virer d’une production Hammer décadente tournée à Hong-Kong (Shatter), termine Avalanche Express de Mark Robson à la mort du cinéaste, Sam Peckinpah lui demande de refaire le montage de Tueur d’élite, il est réalisateur de seconde équipe (non crédité) de Robocop, producteur exécutif de Reservoir Dogs (qu’il devait, à l’origine, mettre en scène). Cette année à Cannes, Monte Hellman est venu présenter la copie neuve de Macadam à deux voies, en gardant l’espoir de tourner un jour son onzième long métrage, un film d’horreur.
Le plus intellectuel des cinéastes américains
Des critiques américains ont défini Hellman comme « le secret le mieux gardé d’Hollywood », ou « un auteur européen exilé aux États-Unis ». Il est vrai que le cinéaste cultive les paradoxes. Grand connaisseur de la littérature et du théâtre européens (il fut le premier à monter En attendant Godot à Los Angeles, au début des années 60), Hellman est pourtant profondément américain, comme en témoigne sa passion pour le western et les grands espaces. Si Hellman est sans doute le plus intellectuel des cinéastes de son pays (ses films sont influencés par l’existentialisme et le théâtre de l’absurde, mais aussi par le Nouveau Roman), il a toujours travaillé dans des réseaux commerciaux (sa collaboration précoce avec Roger Corman), voire des circuits proches du cinéma d’exploitation. Chacun de ses films se rattache ouvertement au cinéma de genre : le film d’horreur, de guerre ou d’aventures. Macadam à deux voies a même inventé son propre genre, le « road-movie ».
Enfin, les films de Monte Hellman proposent sans doute les expériences les plus radicales du cinéma américain des années 60 et 70, comparables par certains aspects aux démarches entreprises en Europe par Philippe Garrel ou Chantal Akerman. Il faudra attendre les récents films de Gus Van Sant ou de Vincent Gallo pour qu’un auteur américain aille aussi loin dans le refus du scénario traditionnel, la crise de l’image action, l’opacité des sentiments et des comportements, la dilatation du temps. Et pourtant, le cinéma de Monte Hellman ne se pose jamais en installation d’art contemporain ou en travail avant-gardiste.
Ses films sont schizophrènes : torturés par l’inquiétude et le doute, symptômes de la modernité cinématographique contaminée par les autres arts et la philosophie, ils s’inscrivent en même temps dans une continuité du cinéma classique américain, sa méfiance envers la psychologie, son romanesque et surtout ses paysages. Monte Hellman est le fils de Samuel Beckett et de John Ford. Ses personnages hésitent entre le mutisme et l’anarchisme des héros de séries B de Budd Boetticher et la névrose antonionienne. Son cinéma est frôlé en permanence par l’abstraction et la théorie, mais son souci du monde vivant et parfois sa sensualité (voir Iguana ou China 9 Liberty 37) le sauvent de la sécheresse et de l’ennui.
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