Comment faire un film après un phénomène comme Pulp fiction ? Comment survivre à une hype de dimension planétaire ? Comment rester les pieds sur terre en se concentrant sur son travail et ses envies quand votre nom devient une marque mondiale ou un totem ? Réponses avec Jackie Brown, le beau contre-pied de Quentin Tarantino.
Plus de trois années se sont écoulées entre Pulp fiction et Jackie Brown. Eprouvais-tu le besoin de digérer la hype autour de Pulp ? Pulp a déclenché tout un tas d’erreurs, de croyances, de désinformations. Les gens, les médias ont dit des trucs et souvent, je me disais « Waooow, ça n’a rien à voir avec ce que j’ai vécu. » Par exemple, on disait que je me dispersais dans différents jobs secondaires, alors que moi, j’ai l’impression que je n’ai rien foutu juste après Pulp. D’accord, j’ai fait des apparitions dans quelques films en tant qu’acteur, mais ça représentait à chaque fois une seule journée de tournage ! Après la Palme d’or à Cannes, j’étais complètement pris par Pulp : lancement, promo, interviews dans différents pays. Et j’ai aussi participé à Four rooms (film à sketches non distribué en France). Tout cela a déjà pris un an. Par ailleurs, je ne suis pas le cinéaste qui va faire un film par an. Si je bosse une année ou plus sur un film, après je veux au moins une année pour moi, pour explorer d’autres domaines, pour approfondir mes relations avec mes amis et mes proches, pour vivre. Et c’est grâce à ça que je vais nourrir mon travail, réinjecter de la substance et du vécu dans mes futurs films. Donc j’ai pris cette année sabbatique. Malgré tout, j’ai fait quelques petits trucs. Par exemple, j’ai réalisé un épisode de la série E.R. : je l’ai fait par plaisir, mais aussi comme un exercice pour ne pas rouiller. Comme j’étais fan de la série, je connaissais bien le matériel et je n’ai eu aucun mal à passer du fauteuil de spectateur au siège de réalisateur. Pour nous, diriger des objets télévisuels standards, c’est comme faire des pompes pour un sportif : ça entretient la forme.
Le contexte de production télévisuelle a dû te changer par rapport au contexte cinéma.
Un des aspects négatifs du travail dans le cinéma, c’est la longueur, la lourdeur et la lenteur de ce milieu. De l’idée originelle à la sortie en salles, en passant par la préproduction, le tournage, la postproduction, le montage, le labo, etc., ça n’en finit pas. J’ai réalisé mon épisode de E.R. en huit jours ! Deux semaines plus tard, il passait à l’antenne ! Ce genre de gratification immédiate n’existe jamais dans le cinéma. Là, je n’étais pas carbonisé de fatigue et à l’arrivée, je n’avais pas eu le temps d’oublier ce qui m’avait motivé au départ. Pendant cette année sabbatique, j’ai aussi participé à From dusk till dawn de Robert Rodriguez. Ce film a été un tournant pour moi en tant qu’acteur : pour la première fois, ce n’était pas une apparition comique, un « cameo », c’était un vrai personnage et ça a touché en moi la corde d’acteur. Ce film m’a fait prendre conscience que j’aimais jouer et j’ai l’intention de développer cet aspect à l’avenir, mais avec des personnages étoffés, des rôles consistants. Ensuite, après l’année sabbatique, j’ai décidé d’adapter Punch créole, le bouquin d’Elmore Leonard ce qui m’a pris encore une année : il faut vivre avec le bouquin pendant un certain temps afin de bien trouver et cerner votre film à l’intérieur de ce matériau romanesque. Voilà le résumé de ces trois années : une pour s’occuper de Pulp fiction, une pour vivre et se régénérer et une pour écrire Jackie Brown.
Pendant cette période, as-tu éprouvé des craintes sur le fait de devoir suivre un film-phénomène comme Pulp fiction ? As-tu, ne serait-ce qu’une minute, senti la pression de celui que tout le monde attend au tournant ?
Je n’ai jamais eu peur, je n’ai jamais douté de mes capacités à pouvoir enchaîner de nouveaux films. Par contre, je savais intérieurement que prendre un peu mon temps ne serait pas une mauvaise chose. Parce que les médias avaient atteint ce point de non-retour où ils ne pouvaient que me détester, me vomir pour cause d’indigestion. Une chose très importante à ce propos : ils se sont rendus malades tout seuls. Je ne leur ai rien demandé, je ne les ai pas forcés à écrire toutes ces tonnes d’articles sur moi, d’accord ? Et ils se sont tellement gavés de moi qu’ils en sont tombés malades et m’ont rendu responsable de tout. Donc, sans rien demander, j’ai eu droit à la hype, puis au retour de bâton. Dans ces conditions, il valait mieux attendre, ne pas se presser, laisser la mousse retomber et les choses reprendre leur cours normal. Pendant l’écriture et la préparation de Jackie Brown, je me suis retiré, j’ai coupé tout contact avec les médias, refusé les interviews, les passages télé, pour concentrer toute mon énergie sur le travail. Et malgré cela, on continuait d’écrire sur moi ! « Où est Quentin ? Qu’est-ce qu’il fout ? » (rires)… Donc, j’étais conscient de la pression médiatique, mais j’avais confiance en moi. Surtout, je n’avais absolument aucune envie de surpasser Pulp fiction, aucun désir de surenchérir dans cette direction et de dépasser mon image médiatique. Je ne voulais pas du tout travailler de nouveau sur la même échelle que Pulp,
je voulais descendre de quelques étages, travailler sur une histoire modeste et investir plus profondément les personnages. Ce n’était pas du tout une stratégie pour surprendre, une variation obligée d’ordre tactique. Non, ça correspondait tout simplement à ce que je ressentais, à une pulsion artistique profonde. J’étais donc très serein par rapport à mes envies, très confiant dans le film que je préparais et je ne me posais pas du tout le problème de Pulp, la suite. Ce qui m’a agacé, ce sont les discours pontifiants prétendant que j’avais la trouille du follow-up, que le succès de Pulp me bloquait. Conneries ! Je me dis que s’ils raisonnent ainsi, c’est qu’ils ont mal regardé mes films et n’ont rien compris à mon travail et à ce que je suis. Je veux dire que sur le plan artistique, je n’ai peur de rien : si j’ai envie de filmer tel truc, de telle manière, si j’ai envie de choisir tel acteur, je le fais, point. Et le reste ne compte pas. Si j’avais eu la trouille par rapport au succès, à mon image ou je ne sais quel bullshit, je l’aurais eue après Reservoir dogs, film qui avait déjà déclenché une petite hype. Et je n’aurais pas enchaîné sur Pulp, je n’aurais pas choisi Travolta dont plus personne ne voulait à l’époque, etc. A part les choses qui seraient fatales pour moi ou mes proches, je n’ai peur de rien et sûrement pas de faire des films ou de prendre des risques artistiques. Je ne suis pas du genre inquiet, prudent, ratiocineur, je ne crains pas mes désirs, ce n’est pas ma nature. Je n’aurai pas d’ulcère de l’estomac à 40 ans (rires)… J’ai des petits problèmes quotidiens, comme tout le monde, mais si on ne se ment pas à soi-même, si on écoute ses instincts et ses désirs ce que je fais dans mon travail d’écriture , alors il ne faut pas craindre la peur. Au contraire, c’est une sensation qu’il faut rechercher parce que cette peur signifie que vous êtes sur un terrain fort, que vous touchez de vraies questions. Dans ce champ de la peur, il y a de belles moissons à faire : c’est un sol fertile.
Penses-tu que Jackie Brown va dérouter les nombreux fans de la Tarantino’s touch, que certains thuriféraires de Pulp risquent d’être déçus par ce film moins flashy ?
C’est inévitable et j’en suis conscient. Pendant les dernières étapes du montage, nous avons organisé quelques projections à Seattle. Je qualifierais le public de ces projections de « jeune, blanc et rock’n’roll ». Ils ont vu le film, ils l’ont apprécié. Puis j’ai discuté avec quelques-uns à la sortie et leurs avis étaient assez indécis, du genre « Ouais, j’ai bien aimé, mais… comment dire ? Je ne m’attendais pas du tout à ça. » Comparé à Pulp, c’est un autre film. Moi, ça ne me surprend pas : je sais que j’ai un tas de films différents en moi. Bon, je ne râle pas du tout sur le succès phénoménal de Pulp, il n’y a pas à faire la fine bouche quand un truc pareil vous arrive, c’est du tout bon et si ça m’arrive encore, tant mieux si ça ne m’arrive plus, ça ne m’empêchera pas de dormir. C’est génial de s’investir dans un projet et de recevoir en retour l’approbation des médias, des critiques et du public. Par contre, ce succès aura eu un point très négatif : certaines personnes, certains journalistes se sont mis à tirer de grandes conclusions définitives à mon sujet et au sujet de mon travail. Comme si j’avais déjà fait six ou sept films ! Pulp n’était que le second. C’est assez injuste et gonflé d’étiqueter un cinéaste au bout de deux films. Les gens semblaient oublier que je suis un cinéaste en début de carrière. Alors, je crois qu’avec Jackie Brown, le tableau commence à s’éclaircir un peu. Ma personnalité comporte différentes facettes et après deux films, je n’avais pas encore eu l’opportunité de les montrer toutes. Même si mes trois films ont des points communs, je ne suis pas un cinéaste de la famille des Woody Allen, Spike Lee ou Hal Hartley, qui font des films par séries, des films qui se ressemblent beaucoup en termes de sujets, de lieux, d’univers.
De ce point de vue, ressemblerais-tu plutôt à Howard Hawks, l’un de tes modèles ?
A Hawks ou à Martin Scorsese : il a une marque, un style immédiatement identifiable, mais chacun de ses films est un objet très spécifique. On peut commencer à s’en apercevoir maintenant que j’ai fait trois films. Et je peux déjà annoncer que le prochain sera différent de Jackie Brown.
L’idée d’un film lent, à l’ancienne, était-elle un élément fondamental dans le projet Jackie Brown ?
Pendant l’écriture du scénario, je n’ai jamais pensé à un rythme lent, à des durées étirées. J’étais très heureux là où j’étais : j’étais tellement fasciné par ces personnages, tellement plongé dans cette histoire que je ne pensais pas encore au rythme général du film. Je n’ai pas pris de décision consciente sur ce plan-là, je me suis contenté de suivre la structure du bouquin d’Elmore Leonard. C’est un film qui dure deux heures et demie. La première heure est entièrement consacrée aux personnages : en termes d’action, il ne se passe quasiment rien, le film se concentre sur les personnages. Comme dans de nombreux romans : au début, il s’agit de faire connaissance avec les personnages principaux, d’essayer de nouer une relation avec eux. Mettons que le film soit une voiture ; les personnages sont au volant et sur la banquette arrière, l’intrigue commence à se nouer, discrètement. Au début, le spectateur est assis à l’avant, avec les personnages. Et quand je dis qu’il s’agit de faire connaissance avec eux, ce n’est pas superficiellement, en plein milieu d’une intrigue ou d’une action. Non, il s’agit de les connaître en profondeur, de traîner avec eux. De ce point de vue, mon modèle était Rio Bravo. Et dans Jackie Brown, on se lie avec les
Jackie Brown n’est-il pas le genre de film à voir deux fois ? La première fois, on est surpris ; la seconde, on sait quelle est l’issue et on a une vision différente des personnages, de la mise en scène, des moments creux.
Tous les gens qui l’ont vu deux fois l’ont aimé encore plus la seconde fois. Je ne fais pas des films uniquement pour le vendredi de la sortie, j’essaie de faire des films qui tiennent le coup avec le temps, j’aimerais qu’on les voie trois, quatre, cinq fois en cinq ou dix ans et qu’ils deviennent meilleurs à chaque vision. C’est ce qui s’est passé pour moi avec Rio Bravo. Je ne me souviens plus combien de fois je l’ai vu, mais ce que je sais, c’est que je l’aime de plus en plus à chaque fois. Je crois que Jackie Brown sera plus apte à devenir ce genre de film que mes deux autres. Beaucoup de gens ont vu Reservoir et Pulp plusieurs fois, mais je pense que celui-là creuse un sillon plus profond et tiendra mieux la distance. Reservoir et Pulp se revoient comme on réécoute un album : c’est très immédiat, on aime certains passages, on peut les regarder distraitement, en groupe, en buvant des coups, puis on se concentre pour telle ou telle scène favorite, comme sur une chanson ou un refrain… Ce n’est pas la même chose avec Jackie Brown : je crois qu’il faut le (re)voir d’un bout à l’autre en étant complètement dedans, sans distraction extérieure, parce que les personnages et le flux du film l’exigent. Et à chaque vision, l’émotion et les sentiments deviennent de plus en plus forts, de plus en plus profonds.
L’un des changements majeurs entre le livre et le film, c’est la transformation du personnage principal en femme noire, notamment pour faire jouer Pam Grier. Toi qui as grandi dans la culture noire américaine, comment vois-tu les rapports Noirs/Blancs dans l’Amérique d’aujourd’hui, entre autres sur le plan culturel ?
Prenons le cas du procès OJ Simpson. Cette affaire a choqué beaucoup de Blancs en Amérique et a montré qu’il y avait toujours de sérieuses divisions entre les deux communautés, alors que les Blancs étaient persuadés que le fossé s’était considérablement réduit depuis quelques années. Je pense que les Blancs n’étaient pas nécessairement les « méchants » dans cette affaire, mais qu’ils étaient un peu largués par rapport aux réalités sociales. Et je crois aussi que les plaintes permanentes et récurrentes des Noirs américains contribuent à un processus de victimisation. Je vais donner un exemple très simple et très prosaïque qui résume assez bien d’où viennent les Noirs et les Blancs. Quand j’ai acheté une maison, construite dans les années 20, j’ai parcouru le contrat. Et l’un des articles stipulait que cette maison ne pouvait pas être vendue aux Noirs et aux mongoliens. Aujourd’hui, une telle disposition est évidemment illégale, mais ce petit alinéa des années 20 n’était pas effacé. Il n’a aucune valeur juridique mais n’empêche qu’il est toujours imprimé, comme une trace du passé indélébile. Maintenant, un Américain blanc moyen lirait cet alinéa, sa réponse serait du genre « Waooow, regarde-moi ça ! Putain, on a fait du chemin depuis ! » Un Noir lirait ça, il pèterait les plombs instantanément et il aurait toutes les raisons, tous les droits d’être furibard. Pour les Blancs, c’est beaucoup moins concret et le racisme reste souvent une abstraction, un élément figé dans le passé. En ce moment, on assiste plutôt à une régression en ce qui concerne les relations amoureuses interraciales. Et notamment du côté des Noirs, il y a une tendance au séparatisme sexuel et amoureux les Noirs doivent coucher entre eux, etc. C’est décevant parce que c’est comme si on avait fait tous ces efforts pour aller de l’avant pour finalement retourner en arrière. A la charnière des années 60-70, les relations interraciales représentaient un sommet de l’ouverture de l’esprit, de l’avancement culturel et du progrès humain : après tout, il s’agissait tout simplement de personnes explorant les relations avec d’autres personnes. Et moi, c’est très exactement de cette culture des années 70 que je viens.
Dans Jackie Brown, les relations Noirs/Blancs ne sont jamais abordées comme un « problème ».
Je ne traite pas l’africanité de Jackie ou l’européanité de Max comme un sujet de société, parce que la couleur de leur peau n’a absolument rien à faire dans leur histoire d’amour et dans l’attirance qu’ils éprouvent l’un pour l’autre. Ils sont tellement en connivence sur le plan de leur mélancolie, de leur sagacité, de leur âge et de leur rapport à la vie que leur couleur de peau devient complètement hors sujet. De même dans la relation d’amitié entre Ordell et Louis : Ordell aime Louis autant qu’il est possible à Ordell d’aimer quiconque. Ordell fait vraiment confiance à Louis, sans arrière-pensée, et là aussi, le fait que l’un soit noir et l’autre blanc n’a aucune importance. Par contre, Ordell baise Melanie parce qu’elle est blonde et blanche, il l’avoue très clairement dans une des scènes. Cet attrait sexuel d’Ordell pour une blonde correspond à une des réalités de ce pays. Très souvent, les femmes noires de ce pays ont parlé de leur ressentiment vis-à-vis des hommes noirs qui utilisent leurs petites amies blanches comme des trophées. Cela dit, depuis trois ou quatre ans, la même chose arrive aux femmes blanches : elles se plaignent de ce que les hommes blancs veulent trop souvent coucher avec des Orientales (rires)… Toutes ces discussions n’ont rien à voir avec un racisme pur et dur, mais plutôt avec les préjugés, les idées toutes faites.
On peut prendre comme exemple de certains malentendus culturo-raciaux le mot « nigger », qui revient souvent dans le dialogue de Jackie Brown, ce qui a choqué certains lobbies. Ce terme peut prendre des significations très diverses selon le contexte et selon la personne qui le prononce.
Les Noirs l’utilisent constamment entre eux, dans la rue, dans les morceaux de rap… Quand j’écris mes personnages et mes dialogues, j’essaie de leur injecter le plus de vérité possible. Et je garantis que mes personnages sont vrais, que leur comportement et leur langage correspondent exactement à ce qu’ils sont. Jackie n’utilise jamais le mot « nigger » car ce n’est pas sa nature, elle n’a ni l’âge ni le milieu socioculturel pour avoir ce mot constamment à la bouche. Elle le dit une seule fois à Ordell, dans une situation de conflit, pour parler son langage et bien lui faire comprendre son point de vue. Quant à Ordell, il dit « nigger » à tout bout de champ parce que c’est sa culture. Cela n’a rien de théorique, c’est une réalité bien basique : une grande partie des Noirs américains utilisent ce putain de mot deux mille fois par jour. Ordell est l’un d’eux. Et dans leur bouche, ce mot ne revêt aucune connotation raciste. Quand Ordell appelle Louis « my nigger », c’est un compliment de premier ordre, ça veut dire « mon pote », « mon frère ». Dans tous mes films, je joue constamment avec les mots, leur sonorité, leur double sens… J’aime la danse du langage, j’aime faire swinguer les mots. Et dans ce film, on peut dire qu’on danse à perdre haleine avec le mot « nigger ».
On parle toujours de ton utilisation érudite et habile de la musique. Mais la vraie musique de tes films n’est-elle pas le dialogue ? D’ailleurs, on a envie de dire que ton association avec Samuel L. Jackson est comparable à celle entre un songwriter et un chanteur. Tu serais à Samuel L. Jackson ce que Norman Whitfield était à Marvin Gaye.
Une excellente analogie. Généralement, quand on me pose des questions sur Samuel et moi, on nous compare toujours au couple De Niro/Scorsese. Je crois que personne n’énonce mes dialogues avec autant de bonheur et de saveur que Sam. Les autres acteurs sont formidables aussi, mais Sam ne se contente pas d’être bon, il arrive à choper la musicalité de mes dialogues et à la renvoyer vers le spectateur. Il y a beaucoup plus de musicalité dans le parler noir, et quand Sam dit mes lignes, c’est comme s’il les chantait. Un jour, je lui ai dit « Sam, personne ne joue la musique de mes dialogues aussi bien que toi. » Et il m’a retourné le compliment : « Quentin, personne n’écrit d’aussi bonnes musiques que toi » (rires)…
Est-ce par opposition au bagout de Samuel L. Jackson que tu as donné à De Niro un personnage de contre-emploi quasi muet ?
Absolument. Et je trouve que le travail de De Niro est exquis, d’une finesse incroyable. J’avais prévenu De Niro avant le tournage en lui disant que son rôle était formidable, mais différent de ses rôles précédents. Il n’aurait pas beaucoup de dialogues, pas de tirades marrantes à débiter avec l’accent italien. C’est un rôle qui nécessite un langage du corps archi-précis. Et franchement, sans exagérer, Robert De Niro est de loin le meilleur, le plus obstiné, le plus précis, quand il s’agit de travailler un personnage dans la profondeur. Dans ce film, y compris dans les rushes qui ne sont pas dans le montage final, on ne voit jamais De Niro, on ne voit que Louis. Il est Louis par la position du corps, par ses gestes et sa démarche, par la manière dont il tient son verre de vodka-orange, etc. On en a beaucoup dit sur De Niro, mais c’est encore en deçà de la vérité. Quand il se met dans la peau d’un personnage, c’est jusqu’au bout… Je lui parlais du rôle au téléphone et tout d’un coup, il me demande « Qu’est-ce qu’il porte comme godasses ? » (rires)… On a vraiment collaboré très étroitement à la construction de Louis. Il y a eu un moment merveilleux pendant la préproduction du film. Nous en étions au stade du choix des costumes et des accessoires quel type de flingues on va utiliser, si tel personnage a besoin d’un permis de conduire, quelle marque de cigarettes il va fumer, etc. Bref, on en arrivait au rayon bijouterie. L’accessoiriste se demande quel genre de montre, de bague ou de gourmette porterait Louis. Devant nous, on avait un très large échantillonnage. Je réfléchissais et je me disais « Louis ne portera rien, ce n’est pas son genre, il n’aura même pas de montre. » Je pensais cela, mais en même temps, j’hésitais. Moi-même, je ne porte rien, mais peut-être que c’est seulement moi, peut-être que Louis porterait au moins une montre. Et à ce moment-là, De Niro me regarde et me dit « Tu sais, je crois que Louis ne porterait rien de toute cette merde, qu’en penses-tu ? » (rires)… Et quand tu vois De Niro dans ses autres films, il porte toujours un tas de babioles (rires)… Cet instant m’est apparu comme une merveilleuse manifestation de notre entente sur ce film.
Maintenant que tu es « passé de l’autre côté », es-tu resté un spectateur fan ?
Oui, mais je vais beaucoup moins au cinéma qu’avant il faut dire que je ne faisais quasiment que ça. Maintenant, je prends le temps d’explorer d’autres domaines, je fais par exemple pas mal de sport, je continue à lire beaucoup… Mais je suis toujours un amoureux du cinéma. Je viens de commencer une collection personnelle de vieux films, des vraies copies en 16 et 35 mm quelque chose qui va bien m’occuper dans les prochaines années. C’est marrant, les gens me demandent souvent ce que je pense des nouvelles technologies, du DVD, si j’ai acheté le tout nouvel engin sur le marché… Et moi je vais dans la direction opposée, je plonge dans les projecteurs 16 mm et dans l’histoire du cinéma.
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