Révélé par « Un prophète » de Jacques Audiard en 2009, Tahar Rahim raconte sa gloire soudaine, son tournage dans une Tunisie en effervescence et la curiosité qui l’amène aujourd’hui à jouer chez le Chinois Lou Ye.
La vie a bien changé pour Tahar Rahim depuis que nous l’avons rencontré il y a deux ans pour la sortie d’Un prophète de Jacques Audiard. C’était quelques mois après la présentation triomphale du film à Cannes (Grand Prix du jury), quelques semaines avant la sortie en salle, le succès colossal auprès du public, les récompenses (prix Louis-Delluc, nomination aux oscars, etc.), dont neuf César – Rahim recevant deux compressions (meilleur espoir et meilleur acteur). Il avait 28 ans et la gloire lui tombait dessus pour son vrai premier rôle au cinéma. Dans la rue Victor-Cousin, à Paris, il portait une casquette de marlou et une veste en cuir. Sous l’oeil du photographe, il oscillait sans cesse d’une jambe sur l’autre, comme s’il cherchait l’équilibre, la bonne attitude à adopter.
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Aujourd’hui, le look a changé. Cheveux ramenés en arrière, manteau chic et sobre, pull fin à col roulé. Le fils d’immigrés algériens du quartier des Résidences à Belfort, l’étudiant en cinéma de Marseille et de Montpellier a pris de l’assurance. Mais le sourire simple, chaleureux et juvénile est toujours là. Tahar nous reconnaît (« Vous étiez deux, on avait parlé musique ! »). Et c’est reparti comme si on s’était vus hier.
Tahar est sans chichis. Il répond du tac au tac, prend toutefois le temps de la réflexion lorsqu’il a peur de blesser quelqu’un – pas les gens du métier, hein, mais les démonteurs de stands des marchés parisiens, par exemple. On ne lui fera pas non plus dire un seul mot sur sa liaison avec une jeune actrice ravissante et talentueuse : top secret. Il dit non avec un sourire craquant mais résolu. On appelle ça le tact.
Tahar Rahim ne s’est pas laissé griser par le succès. Question d’éducation, d’abord : dans sa famille, on croyait aux études et au travail. Il aurait pu se la péter, gagner plein d’argent en jouant dans n’importe quoi. Mais la gloire, les prix, peu importe. Pas question de thésauriser sur le succès d’Un prophète, d’accumuler les rôles de caïds de prison. Il faut aller voir ailleurs ce qui se passe.
En l’espace de quelques semaines, le voici donc à l’affiche dans trois films fort différents : Les Hommes libres d’Ismaël Ferroukhi, modeste reconstitution historique sur les réseaux de Résistance algériens pendant l’Occupation, Or noir, la nouvelle production à grand spectacle de Jean-Jacques Annaud, et surtout l’indé Love and Bruises, le nouveau film d’un des fleurons du jeune cinéma chinois, Lou Ye, histoire d’une passion dévorante entre une étudiante chinoise et un prolo du nord de la France, Mathieu. Alors nous avons retrouvé Rahim dans le même lieu, grandi mais toujours exigeant et anxieux.
Qu’as-tu vécu depuis Un prophète ?
Tahar Rahim – Ce fut une grosse déferlante. J’ai reçu beaucoup de propositions. A un moment, je lisais tout ce que je recevais. J’ai pris mon temps, choisi les projets qui me parlaient le plus, que j’avais envie de voir mettre en scène. Je rencontrais les gens même si je ne faisais pas le film. Pour savoir, voir qui ils étaient. J’apprenais le métier. Ça a été long, un vrai moment de transition, important. Il aurait été facile de tout foutre en l’air.
Pourquoi avoir choisi Les Hommes libres ? Pour son aspect politique ?
L’histoire avait l’air accrocheuse, le sujet était inédit et avait du sens, il méritait d’être mis en lumière. Je trouvais aussi un personnage avec assez d’espace pour créer quelque chose. Je ne suis pas du genre à porter une bannière et un message politique. Le film s’en charge et c’est suffisant. Sa force était aussi de ne pas surligner ce message. Quand je lis les critiques, on ne parle que du sujet, c’est dommage.
Le cinéma international t’attire ?
Hollywood m’a fait des propositions, mais rien de terrible. Pourquoi décrètet-on que c’est là-bas que fonctionne le cinéma et nulle part ailleurs ? C’est une idée convenue la plupart du temps. Cela dit, il y a évidemment des grands cinéastes, à Hollywood ou ailleurs, avec lesquels je rêverais de tourner : James Gray, Soderbergh ou Spielberg… Des cinéastes coréens, danois aussi. Partout, il se passe des choses passionnantes.
Comment t’es-tu retrouvé dans des films anglo-saxons ?
Par des castings, tout simplement. Celui du film d’Annaud, c’était de la folie : en studio, dans une ville, habillé, maquillé, trois séquences, un cheval, un vrai plan de tournage, une salle de montage, trois caméras, comme si on tournait un vrai film ! J’en ai chié pour parler l’anglais des années 20 ! (il siffle) J’avais l’impression de sonner faux à chaque seconde ! (rires) On a tourné trois mois en Tunisie et un mois au Qatar, six jours sur sept, en pleine révolution tunisienne. La plupart des techniciens étaient tunisiens et avaient autre chose à faire qu’à tourner un film, tu imagines ! Ils voulaient seulement retrouver leurs familles parce qu’il y avait du danger. Du coup, on a assez vite été en équipe réduite puis rapatriés. Mais j’ai adoré : j’ai vécu une révolution, et ça, c’est un truc à ne pas rater ! Le soir, on n’avait pas le droit de sortir mais je l’ai fait quand même. Il y avait des barrages civils, avec des mecs à fleur de peau. Tu sentais que si tu faisais un pet de travers ils allaient te déchirer… C’était bon de voir ça. Les gens se sont réveillés, ils sont allés rechercher ça. Liberté !
Le « printemps arabe », plus globalement, tu le vois comment ?
C’est bien que les gens se révoltent contre les tyrans. Le problème, c’est qu’après le renversement d’un régime, il y a tout à faire. J’espère que ça se passera bien pour eux.
Comment as-tu rencontré Lou Ye ?
Il a vu une photo de moi dans un magazine qui circulait au Festival de Berlin, en 2009. On s’est rencontrés, je n’avais pas vu ses films, il m’a proposé le scénar, je l’ai trouvé bien. Puis j’ai vu ses films : c’est du lourd ! Love and Bruises est une histoire d’amour comme j’en ai rarement vue au cinéma. Il y a un rapport au sentiment amoureux, à son côté vache, qui me plaît beaucoup et qui ressemble à ce que je vois dans la vie ou la rue : des gens qui ne vont pas ensemble mais qui ne peuvent pas se lâcher ! J’aime bien les personnages dérangés, brusques, rugueux.
Tu as l’impression d’avoir changé en deux ans ?
Je crois surtout avoir grandi, mûri, et je m’en rends compte encore plus en voyant mes films. Je continue à apprendre. Je suis surtout arrivé à canaliser mon angoisse. Je me faisais des montagnes de stress alors que finalement, ça n’en méritait pas tant. C’est pour ça que je suis un peu pressé d’y retourner. J’ai toujours peur de ne jamais atteindre mon objectif, de faire un truc de cave, de ne pas avoir compris.
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