Un prophète restera comme le film qui a révélé au grand public un jeune acteur de talent, Tahar Rahim, 28 ans le jour même où nous l’interviewons. Dans le film, il est ce jeune délinquant qui apprend vite, jusqu’à devenir un caïd. Tahar Rahim est timide, ne tient pas en place, fume beaucoup, parle très […]
Un prophète restera comme le film qui a révélé au grand public un jeune acteur de talent, Tahar Rahim, 28 ans le jour même où nous l’interviewons. Dans le film, il est ce jeune délinquant qui apprend vite, jusqu’à devenir un caïd. Tahar Rahim est timide, ne tient pas en place, fume beaucoup, parle très bas d’une voix légèrement éraillée. Quand il sourit de toutes ses dents et de tous ses yeux au détour d’une phrase, il ressemble soudain à Ninetto Davoli, l’acteur fétiche de Pier Paolo Pasolini.
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Tahar Rahim vient de Belfort, où il est né quelques mois après la première élection de François Mitterrand comme président de la République, dans un milieu qu’il qualifie de “précaire”, une “famille d’ouvriers”. “Mais Malik, ce n’est pas moi”, tient-il à préciser. “Dans le quartier où j’ai grandi, les notions de respect et de travail avaient un sens.” Parcours scolaire normal, bac scientifique en poche, il s’inscrit un peu par hasard à Strasbourg dans une fac de sport, puis à Marseille (qui cumule la présence d’une partie de sa famille et du soleil) en maths-informatique, mais abandonne au bout de deux mois et se dit qu’il “faut arrêter de rêver, construire réellement”. Alors, là où n’importe quel pékin se lancerait dans un BTS commercial, Tahar Rahim, lui, s’inscrit à Montpellier dans une fac de cinéma… “Pour joindre l’utile à l’agréable”, ajoute-t-il. En trois ans, il obtient une licence (“Ma sœur voulait que j’en aie une pour la sécurité”), puis, en septembre 2005, monte à Paris “avec son sac à dos”, s’installe à l’hôtel ; fait tous les boulots du monde la nuit “pour manger”, se payer ses cours le jour.
Il est venu à Paris pour devenir acteur. Car depuis l’âge de 14-15 ans, il ne rêvait que de ça sans oser passer le cap. Le cinéma, il l’a découvert à la télévision. Son frère collectionnait les films. Du “cinéma de qualité”, des films hollywoodiens, des films noirs (Scorsese, De Palma), des films français des années 70 : Ventura, et surtout Gabin (“l’un des plus grands comédiens qui aient existé”). Le cinéma, comme pour beaucoup de gens, lui permettait d’échapper à la réalité.
A Paris, Tahar prend des cours un peu partout. Mais “si on reste trop longtemps, on s’abîme : au lieu de gommer, on finit par en rajouter”… Il se dégote un agent. Quelques panouilles (le film d’horreur A l’intérieur), “12 000 essais”… Puis décroche un rôle dans une série, La Commune, réalisée par Philippe Triboit et écrite par Abdel Raouf Dafri pour Canal+ (avec Tomer Sisley). Il y apprend beaucoup. “Je regardais tout. Je me suis tué à la tâche, j’adorais ça.”
C’est dans La Commune qu’Audiard le découvre. Il cherche un inconnu. “Malik, le personnage, lui aussi vient de nulle part”… Tahar passe pas moins de sept essais sur trois mois avant d’être l’élu… Pourquoi selon lui, Audiard l’a-t-il choisi ? Après avoir tourné un peu autour du pot (“J’étais vierge”, “Il a pensé que je pourrais lui donner ce qu’il voulait”), Tahar finit par lâcher : “Peut-être parce que je n’ai pas une tête de taulard…”
Les répétitions durent ensuite trois autres mois. “J’ai commencé à flipper. Allais-je être capable de lui donner ce qu’il voulait, de tenir le coup pendantles quatre mois de tournage prévus ?” D’autant qu’il allait devoir jouer avec un acteur qui a de la bouteille, Niels Arestrup. “Au début, il était très distant. Je me demandais même s’il n’était pas en train de travailler son rôle… En fait non, il est juste réservé. Mais dans le travail, il est très présent. Moi, je les observais beaucoup, parce que je savais que Jacques et lui avaient déjà travaillé ensemble et que je pensais pouvoir en tirer un enseignement…”
Tahar, comme son personnage, va apprendre le métier sur le tas – d’autant plus que le film est tourné dans l’ordre chronologique… Audiard lui apprend aussi à se débarrasser de l’héritage de ses modèles : De Niro, Pacino. “Le pied, c’est quand vous êtes tellement dans le rôle que vous oubliez que vous interprétez quelqu’un. Vous faites passer l’information que souhaite Jacques, et en plus vous le surprenez. Or il adore ça, être surpris.” De Cannes, Rahim dit d’emblée que “c’était un truc de fou. J’ai pris tout ce bonheur sans comprendre. J’ai pleuré quand on nous a applaudis à la fin de la projection officielle. J’ai découvert la plénitude pour la première fois de ma vie.” Il a évité les fêtes, sauf celle du film. Et puis quelques soirées au Jimmy’z. Mais il est vite reparti pour Paris : “Je ne voulais pas rester, je me disais : “Le monde du cinéma me regarde. Pour peu que je m’emporte dans une fête, après je vais passer pour un tocard”, je n’avais pas envie de ça.”
Quand on lui demande pour finir s’il n’était pas trop difficile de tourner un film dans lequel il n’y a quasiment aucune femme, Rahim répond simplement : “Je ne sais pas. Je n’ai jamais tourné avec une femme.”
Jacky Goldberg et Jean-Baptiste Morain
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