Swann Arlaud est miraculeux de justesse dans “Vous ne désirez que moi” de Claire Simon. Interview.
Swann Arlaud tourne depuis longtemps, mais il est devenu, depuis 2018 et le César du meilleur acteur dans Petit Paysan, et le César du meilleur acteur dans un second rôle dans Grâce à Dieu de François Ozon en 2020, l’un des acteurs les plus demandés du cinéma français – il s’apprête à jouer dans le prochain film de Justine Triet.
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Aujourd’hui, à tout juste 40 ans, il joue dans un film splendide réalisé par Claire Simon à partir d’enregistrements réalisés mais jamais retranscrits, à la demande du jeune compagnon de Marguerite Duras Yann Andréa, par la grande journaliste Michèle Manceaux. Il y est splendide. Rencontre avec un jeune acteur détendu et souriant.
Je me demande souvent, quand je rencontre des acteur·ices issus d’une famille d’artistes de cinéma reconnu·es sinon célèbres comme c’est votre cas, si c’est rassurant ou angoissant, quand on débute sa carrière, d’être un “enfant de la balle”.
Swann Arlaud – Ni l’un ni l’autre. (Sourire.) Cela dit, j’ai connu des gens qui ne venaient pas d’un milieu artistique et qui avaient peut-être plus de mal à se le permettre, c’était comme une chose inatteignable, impossible : “Ah bah non je vais pas essayer de de faire du théâtre puisque je n’y connais rien, personne n’y connaît rien autour de moi.” Donc peut être que pour moi c’était plus facile, c’est comme si j’avais la permission. Et puis cette vie est une vie où on ne sait pas toujours si on va travailler au-delà de quelques mois, et moi ça ne m’inquiète pas du tout. Je me souviens qu’à un moment, je savais ce que j’allais tourner presque un an ou deux ans à l’avance et ça, ça m’angoissait beaucoup. (Sourire.)
J’imagine que vous êtes encore plus sollicité, surtout depuis vos deux César. Vous devez avoir encore plus de projets à long terme qu’avant, non ?
Non, parce que j’essaie de ne pas en avoir trop. Il est certain que maintenant, on peut me proposer des choses très en amont, donc je pourrais presque savoir ce que je fais dans un an. Mais ce qui est agréable dans la “notoriété”, c’est qu’elle laisse vraiment le temps de se préparer, et ce temps-là est très précieux.
Qu’est-ce que c’est, “se préparer” à un rôle ?
Ça dépend vraiment des films. Parfois, il faut voir d’autres films, éventuellement lire des bouquins. Pour d’autres films, on ne travaille que sur le scénario. Souvent, il faut apprendre les gestes qui correspondent à un métier, apprendre à faire de la moto, à être soldat. Mais c’est une partie que j’adore, quand il y a vraiment quelque chose à faire : c’est génial parce qu’on devient une petite souris, on se glisse dans des univers ou à priori on a absolument aucune raison d’évoluer. Cela permet de rencontrer des gens, d’appréhender des métiers… C’est vraiment une partie fantastique du travail.
Et pour Vous ne désirez que moi, vous avez relu Marguerite Duras, revu certains de ses films ?
Non, pas du tout, au contraire, je ne voulais pas voir ou écouter les interviews de Yann Andréa, par exemple. Si, j’ai revu India Song, quand même, dont il parle et que je n’avais vu depuis longtemps. Mais sinon, tout le travail reposait sur le texte : comprendre cette langue, comment la pensée et les phrases avancent, se construisent. Yann Andréa avait un langage cultivé et brillant. Il avait une manière particulière de s’exprimer, qui n’est pas la mienne, et il fallait complètement l’adapter à soi. Il faut dire qu’on est dans le secret, l’intime, avec eux, Yann Andréa et la journaliste Michèle Manceaux, dans ce grenier. Les choses se disent comme ça, avec beaucoup de pudeur.
Mais il y a quelque chose sur le travail de l’acteur qui ne ressemble pas à ce que j’ai l’habitude de faire au cinéma, sur la temporalité par exemple. On ne cherche pas la prise parfaite, celle qui va durer 40 secondes et qui doit être exactement comme on l’a imaginée. Là, nous tournions des plans-séquences qui pouvaient durer 45 minutes. Claire nous cherchait avec sa caméra, et moi je cherchais cette nécessité à mettre des mots pour comprendre, mais dans quelque chose d’un peu douloureux : “Voilà l’espèce d’homme qui est dans l’obscurité et qui cherche à ouvrir des fenêtres pour faire entrer la lumière.”
Claire Simon, qui est sa propre camerawoman, se mettait en phase dans cette écoute qui devait aider cet homme à sortir ce qu’il porte en lui par les mots. Nous n’étions plus dans la recherche de la perfection. Je ne dirais pas qu’on oubliait la caméra, parce qu’on l’oublie jamais tout à fait. Elle est là, on travaille avec elle. C’était Claire Simon, sa caméra, donc c’était elle qui venait chercher un profil, une nuque, mais peu importe, c’est elle qui faisait son affaire. C’est un film très intimiste. Sur des prises assez courtes, je pouvais avoir une conscience très forte de mon corps ou de mes mains, mais sur des prises de 45 minutes, on oublie totalement, on est comme là, l’un en face de l’autre. C’est très rare d’avoir ce temps-là sur un tournage et c’était très agréable pour moi.
Vous avez tourné dans la vraie maison de Marguerite Duras à Neauphle-le-Château ?
Non, c’est c’est la maison d’un artiste peintre, dans le nord-ouest de Paris. La vraie différence, c’est que chez Marguerite Duras, il n’y avait pas cette vue incroyable, vaste, qui surplombe la campagne. Claire disait, en désignant le contrebas : “C’est le Mékong.” (Rires.)
Est-ce que pour jouer le rôle que vous jouez dans Vous ne désirez que moi, il ne faut pas avoir aussi une forme de maturité pour comprendre de quoi il parle ?
Certainement, parce qu’il parle du couple, d’amour, de passion, d’un monde absolu et de destruction aussi… Je ne sais plus quel écrivain disait qu’il faut d’abord avoir vécu une vraie rupture amoureuse douloureuse pour être capable d’écrire. Ce que la vie nous apporte nous rend plus apte à appréhender certaines choses. Surtout que pour son âge, il a trente ans dans le film, Yann Andréa a une grande lucidité sur ce qu’il vit, une grande intelligence.
J’ai trouvé très beau de lui rendre cette intelligence grâce au film. Parce que j’ai toujours eu l’impression qu’on le dépréciait, de son vivant en tout cas.
Oui, il y a quelque chose de l’ordre de la réhabilitation. Claire Simon dit une très belle chose : on a restitué une archive manquante. C’est une partie manquante du puzzle qui apparaît. C’est Marguerite qui disposait du langage, il le savait et le disait. C’est elle qui racontait, qui faisait de cette histoire une histoire romanesque, mais nous n’avions jamais entendu son point de vue à lui, même s’il a écrit un livre, Cet amour-là, beaucoup plus tard. Dans le film, il est encore tout “frais”, ça ne fait que deux ans qu’il vit cette histoire d’amour avec Marguerite Duras.
Ce film est presque un monologue, puisque Michèle Manceaux parle beaucoup moins que Yann Andréa, forcément, puisqu’il est l’interviewé. Cela devait être étrange de parler seul face à Emmanuelle Devos, non ?
J’étais d’abord très content, parce que j’adore Emmanuelle Devos comme actrice depuis longtemps. Je l’avais jamais rencontrée et je me suis dit : “Mais quelle classe, elle accepte de venir m’écouter…” Et puis ce qu’il y a de plus difficile à jouer, c’est l’écoute, puisque la parole est un refuge, elle nous protège… Et quand on ne parle pas, c’est très difficile : tout d’un coup, même le regard de la caméra est comme plus présent, on n’a rien pour se sauver. C’était vraiment formidable qu’Emmanuelle ait accepté ça. Parfois, je lui disais : “Mais ça va, tu ne t’ennuies pas trop ?” Elle me répondait : “Non non, je pourrais t’écouter pendant des heures.” C’était vraiment très valorisant…
Où avez-vous l’impression de vous trouver, dans votre carrière, aujourd’hui, par rapport à ce que vous tourniez il y a dix ans ? Quel bilan traceriez-vous ?
Forcément, la nature de certains projets que je reçois change. Certainement aussi la manière dont je suis capable ou non de jouer certains rôles. Je me sens toujours “incapable”. Mais j’avais ça il y a dix ans, et c’est encore le cas aujourd’hui. Je crois que c’est un garde-fou, quelque chose qui aide à rester exigeant vis-à-vis de soi-même… Mais il y a dix ans, j’aurais été absolument incapable d’endosser ce personnage-là dans le film de Claire Simon.
Acteur, c’est un métier que l’on n’arrête jamais d’apprendre, et je le vois comme des marches d’escalier qu’on gravit ou comme un mille-feuille. Comment des couches qui se déposent petit à petit. C’est assez lent, mais on comprend à chaque film, à chaque projet, de nouvelles choses. Et puis on change soi-même aussi. Maintenant que j’ai 40 ans, on me propose plus de rôles d’hommes, et c’est une vraie différence. Ensuite, oui, je reçois beaucoup plus de de scénarios. Mais ça me permet de faire des choix beaucoup plus forts et ça, c’est le plus grand luxe pour un acteur. Je pense que c’est c’est ce que tout le monde vise au bout du compte : ne faire plus que ce qu’on a envie de faire.
Propos recueillis par Jean-Baptiste Morain
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