Un film noir, embrumé, chinois et indépendant, un conte de fées moderne situé à Shanghai, un rêve aquatique et fluide où l’on se noie avec volupté. En ce moment, la Chine reprend la pole position en Asie avec, entre autres, ce petit mélo noir, typique des jeunots de ladite sixième génération, car ancré dans l’urbanisme […]
Un film noir, embrumé, chinois et indépendant, un conte de fées moderne situé à Shanghai, un rêve aquatique et fluide où l’on se noie avec volupté.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
En ce moment, la Chine reprend la pole position en Asie avec, entre autres, ce petit mélo noir, typique des jeunots de ladite sixième génération, car ancré dans l’urbanisme tentaculaire de la Chine nouvelle. Encore une fois, on nous la fait au sentiment, mais comme on aime, avec une bonne dose de mystère, d’atmosphère interlope et de marginalité des bas-fonds. Si le réalisateur, un certain Lou Ye, auteur d’un premier film inédit, Week-end lover (1994), n’était pas affilié à l’internationale de l’action-filming comme ses collègues branchés Wong Kar-wai et Lars von Trier, avec sa caméra à l’épaule affligée d’un tangage prononcé, parfois à la limite du brouillage, Suzhou river serait le pendant idéal, le film-frère de So close to paradise de Wang Xiaoshuai, sorti l’an passé.
Sur le plan romanesque, on y retrouve la figure de la femme fatale évoluant dans un univers de night-clubs borgnes, quoique traitée fort différemment, et sur le plan thématico-esthétique, l’omniprésence d’un fleuve, ici la rivière Suzhou à Shanghai. Seulement, et c’est ce qui fait son charme, Suzhou river a ses particularités, voire ses manies, comme cette caméra subjective qui fait craindre au début une version chinoise de La Femme défendue, avant d’opter pour une « objectivité » de meilleur aloi.
L’autre particularité, c’est cette façon de travailler sur un canevas à la Vertigo l’héroïne se suicide, son sosie apparaît , en le triturant quelque peu, en enchevêtrant passé et présent et en forçant sur la discontinuité narrative. Ce qui compte, c’est moins l’histoire de Mardar, le coursier tombé amoureux de sa captive Moudan (il participe à son enlèvement) puis de son double, Meïmeï, que le caractère amnésique/amniotique du film, songe intra-utérin où l’on perçoit des échos étouffés de la réalité. En fait, c’est un conte moderne où l’esprit du fleuve est personnifié par l’allégorie récurrente de la sirène femme fatale de l’Antiquité grecque , dont Meïmeï arbore le costume dans un aquarium du bar louche où elle se produit. Mais au lieu de forcer sur le symbolisme, Lou Ye, fasciné par cette rivière impure où, dit-il, « s’écoule un siècle d’histoires et de déchets », fait surnager dans sa rêverie aquatique des bribes de réel sans fard (violence, Mafia), des paysages urbains délabrés qui font contrepoids au romantisme diffus de l’œuvre et lui évitent de se noyer dans l’impressionnisme mièvre.
Suzhou river est un film fluide et cahoteux à la fois, un bateau ivre dans lequel on s’embarque et on sombre avec une certaine volupté, dans un état second proche de la torpeur procurée par l’opium.
{"type":"Banniere-Basse"}