Dix ans après le controversé « Baise-moi », Virgine Despentes repasse derrière la caméra et adapte son roman « Bye bye Blondie », avec Béatrice Dalle et Emmanuelle Béart. Reportage sur le tournage à Nancy, où elle recrée les années punk de son adolescence. Photos David Balicki.
Dès le départ, le choix de Béatrice Dalle pour incarner Gloria a été une évidence. « Ça l’était même tellement que j’avais des doutes, poursuit Despentes. J’avais peur que le personnage soit trop proche de Béatrice. » La rencontre avec la comédienne les dissipe aussitôt.
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Mais survient une difficulté de taille : trouver un partenaire masculin qui s’accorde avec Dalle. « J’aimais bien Romain Duris mais ils avaient déjà fait ensemble 17 fois Cécile Cassard de Christophe Honoré. Je ne trouvais pas. Un jour Dalle m’a dit : « On n’a qu’à prendre une femme. » Ça m’a paru évident et ça a débloqué l’écriture du scénario : ça rendait tout plus intéressant. »
Dans le film, Eric est donc devenu Frances, star de la télé qui, pour cacher son homosexualité au grand public, a épousé un écrivain, lui aussi homosexuel (Pascal Greggory). Emmanuelle Béart joue Frances. Clara Ponsot, jeune actrice sortie du Conservatoire, « très précise et à l’insolence troublante », interprète Béart jeune.
« Tout à coup, je savais pourquoi j’avais envie de faire ce film, continue Despentes. J’aime l’idée d’essayer de représenter quelque chose que je n’ai pas déjà vu quarante fois au cinéma. Bye Bye Blondie est vraiment une comédie bourgeoise classique, avec un coeur dramatique. Formellement, narrativement, au niveau du casting, je sais que je n’amène pas grand-chose de nouveau. C’est un projet très différent de Baise-moi. Ce qui est intéressant, c’est que ce soit lesbien.
Cela crée des situations inédites : un personnage comme celui de Frances jeune, en jean, grosses bottes, peu féminine mais hypersexy, je n’ai pas l’impression de l’avoir vu cinquante fois. Créer des archétypes en tant que réalisatrice ou écrivaine est ce qui m’intéresse le plus. »
23 h 30, le tournage reprend. Frances et Gloria courent à toute allure et s’engouffrent dans une rue sombre taguée des noms de groupes de l’époque (Ludwig Von 88…) pour échapper à un fourgon de police. Dans l’angle de la ruelle, Frances, parfaite dans son look de petite butch, plaque Gloria contre un mur et tente de l’embrasser. 2 heures du matin. Despentes siffle la fin de la journée. L’équipe rentre à l’hôtel, face à la gare.
[attachment id=298]Le lendemain, postée sur le pont d’une voie à grande vitesse avec une équipe réduite, Virginie Despentes fixe son écran de contrôle avec attention. « J’adore la lumière aujourd’hui », dit-elle en regardant le ciel de Nancy, gris, étrangement lumineux. L’équipe tourne le premier plan du film. Celui qui voit Frances revenir vingt-cinq ans plus tard à Nancy dans sa Jaguar. Dans un lent panoramique, Hélène Louvart, la chef op (Les Plages d’Agnès, Ma mère, Y aura-t-il de la neige à Noël?…), suit la berline avant de fondre sur la ville. « J’avais le souvenir d’une ville atroce. Là, je trouve ça plutôt joli, raconte Despentes. A 17 ans, j’ai vraiment eu l’impression de quitter un lieu sinistré. En fait, c’est assez riche, il y a de très beaux coins. »
A 17 ans, Despentes était punk tendance oï, sa branche la plus basique. « Nancy à l’époque était davantage intello, post newwave, jazzy et industrielle que punk. Il y avait Kas Product, Dick Tracy, le label Les disques du soleil et de l’acier. Joy Division, c’était presque mainstream. » On sent que sa jeunesse a nourri le personnage de Gloria mais elle stoppe net toute tentative d’amalgame : « Ce que j’ai vécu était plus complexe et je n’ai pas envie de raconter ma vie. J’ai été punk, j’ai fait un séjour en HP aussi. »
L’après-midi, on rejoint le reste de l’équipe. Stomy Bugsy, qui joue le rôle du chauffeur d’Emmanuelle Béart, sifflote, en costard, et répète l’air qu’il doit chanter dans la scène suivante. Fine, perchée sur des talons, Béart papote avec les maquilleuses et entre dans sa loge préparer sa scène. Au catering, le lieu où sont accueillis les artistes, Béatrice Dalle déconne avec les techniciens. Vue récemment dans Domaine de Patrick Chiha et bientôt dans Jimmy Rivière, le premier film de Teddy Lussi-Modeste, elle apparaît plus que jamais comme l’égérie du jeune cinéma d’auteur singulier. Son personnage ? « Je n’y pense jamais, explique-t-elle. Ce qui me plaît, c’est un réalisateur, une âme. A partir de là, je peux jouer n’importe quel rôle. Gloria est violente mais je le suis aussi dans la vie, en paroles, en gestes. Gloria n’a pas fait de compromis et moi non plus. L’intégrité, ça paye. » Elle dresse le portrait d’une Despentes « toujours juste » qui laisse énormément d’autonomie à ses comédiens. « Je pense que c’est dû à l’écriture. Elle a vraiment écrit en pensant à nous. » Vêtue de cuir, Béart rejoint le plateau. Pour l’instant les deux actrices ont tourné peu de scènes communes. « Etre ensemble et s’embrasser, c’est assez évident pour elles, conclut Despentes. Je crois que ça les amuse. »
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