Une jeune femme évolue, vaporeuse, entre trois hommes amoureux d’elle. La touche HSS de saison.
Pas facile de suivre la carrière de Hong Sangsoo. Notre Eustache coréen carbure à un rythme d’un ou deux films par an, et les aléas de la distribution étant ce qu’ils sont, chacun de ses nouveaux films nous parvient avec un décalage de quelques mois, alors que le cinéaste en a déjà un autre dans sa besace.
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Pour ajouter à la confusion, Hong Sangsoo appartient à cette catégorie de cinéastes dont on dit qu’ils font “toujours le même film” (ce n’est qu’en partie vrai, donc en partie faux), si bien qu’il faudrait peut-être aborder sa filmo selon une approche différente : pas tant une succession de films qu’un seul et unique continuum dont chaque film serait un épisode, un instantané de l’état de HSS à l’instant T.
On pourrait certes dire cela de tout cinéaste, sauf que dans le cas présent les films sont tellement rapprochés, réguliers, ressemblants et entremêlés à de la matière autobiographique qu’ils pourraient vraiment s’apparenter à des bulletins de santé du cinéaste, des scanners de son expérience existentielle in progress.
Sunhi est donc le plus récent de ces bulletins. Comme souvent, comme toujours, l’action se passe à Séoul, dans ses jardins, ruelles et cafés, et met aux prises des hommes (jeunes ou mûrs) et des femmes (jeunes) qui ont des difficultés à se comprendre, sur fond de cinéma, alors que la bière et le soju sont éclusés par litres.
Dans la variation hongsangsooienne du jour, la jeune femme est donc Sunhi, étudiante en cinéma qui veut poursuivre ses études à l’étranger. Elle demande une lettre de recommandation à son professeur, qui ne semble pas indifférent à son charme. Elle croise par ailleurs son ex, également étudiant en cinéma, et un cinéaste diplômé de la même école.
Hong Sangsoo ordonne le quadrille asymétrique entre Sunhi et les trois hommes par duos successifs, selon un dispositif qui lui est familier : plan-séquence fixe où les deux protagonistes cadrés de profil dialoguent face à face en un seul souffle, attablés dans un bar, alors que les cadavres de bouteilles s’accumulent, d’un plan-séquence à l’autre (ça picole sec dans les collures). Ce système de fragmentation du quatuor permet au spectateur d’avoir une petite longueur d’avance sur les personnages, ou plutôt de savoir ce que chacun projette sur l’autre, notamment sentimentalement.
Enfin, en partie. Car s’il apparaît clairement que les trois hommes sont tous plus ou moins amoureux ou désirants, les sentiments de Sunhi demeurent mystérieux. Qui aime-t-elle ? Qui désire-t-elle ? Les affects sont par ailleurs perturbés par des rapports de domination, certes subtils, non-dits, légers, mais qui sont néanmoins bien réels entre l’étudiante, le prof, celui qui a déjà réalisé un film et celui qui se prépare à en réaliser un.
Les trois hommes ont beau définir Sunhi avec les mêmes mots élogieux, les mêmes phrases clichés (effet comique de répétition), la jeune femme reste cet obscur objet du désir, fuyant, évanescent, insaisissable, comme le figure cette séquence tragicomique dans un parc, où les trois hommes amis-rivaux se retrouvent par hasard alors que Sunhi s’est volatilisée. Les mâles ne demandent qu’à bander mais se retrouvent comme des toutous, la queue entre les jambes, face à cette fille qui semble ne pas savoir ce qu’elle veut.
Hong Sangsoo ordonne la ronde des sentiments, l’éternel jeu du masculin-féminin avec sa manière usuelle, mélange d’humour et de mélancolie dans le ton, de limpidité et de décontraction dans le style. C’est un cinéma très précis et complexe dans sa structure, son découpage, mais très libre, spontané, limite désinvolte à l’intérieur de chaque scène, où l’on sent acteurs et personnages potentiellement ouverts à toutes dérives, bières et flacons de soju aidant. Sunhi ne déroge pas à la saveur particulière de ce cinéma mi-cru, mi-cuit.
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