Notre critique ciné Léo Soésanto est au festival Sundance, dans l’Utah, haut lieu du cinéma indépendant. Jour après jour, il chronique les films présentés.
Depuis vendredi dernier, le temps à Park City, Utah (la petite ville qui accueille Sundance), est assez clément (-2°, 43% d’humidité alors qu’on écrit ces lignes), loin des tempêtes de neige dantesques que l’on nous avait fait miroiter. Il y aurait eu grand froid, un seul film ici avait de quoi réchauffer le moral : Boyhood de Richard Linklater, qui s’impose comme le grand moment de ce Sundance 2014. Un Linklater très attendu puisque le tournage débuta… en 2002.
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Dans sa trilogie des Before, Linklater donnait rendez-vous à Julie Delpy et Ethan Hawke à travers les années par amour de leurs personnages et des retrouvailles comme un Elle et Lui plus débraillé. Boyhood va encore plus loin car il s’agit de filmer le même acteur (l’épatant Ellar Coltrane) dès l’âge de six ans, chaque année, pendant douze ans. Soit dessiner une enfance, une adolescence et la relation d’un garçon avec ses parents divorcés (interprétés par Hawke et Patricia Arquette, eux par contre immuables).
« Est-ce que mon personnage peut mourir ? »
Alors oui, on pense à Antoine Doinel chez Truffaut ou au récent Suzanne de Katell Quillevéré, qui faisait l’exploit de comprimer toute une vie en 1h34 grâce à des ellipses judicieuses. Boyhood est à la fois clos et épanoui – trois heures tout de même. Dire du film qu’il ne s’y passe pas grand-chose peut faire peur. Pas de twist, de coup du sort. Au débat suivant la première (rendons hommage au public de Sundance d’être encore curieux et exalté à 1 heure du matin), Linklater citait ainsi sa fille, actrice du film, demander sur le tournage, un peu lasse : « est-ce que mon personnage peut mourir ? »
Non, non, la beauté de Boyhood est d’être anti-spectaculaire, magnifiant simplement les petits riens de la vie avec la conscience du temps qui passe. Les parents se rappelleront le privilège qu’est de voir ici un enfant s’éveiller, murir, se construire et se reconstruire presque en temps réel. Les critiques y verront un bel essai sur un acteur gagnant en épaisseur en même temps que le film. Boyhood désamorce constamment sa facture de film indé mignon (BO pop, plans élégiaques) avec cette ambition de biopic d’un personnage ordinaire, de teen-movie ultime mais à la modestie toujours enjouée. Boyhood sera en compétition au Festival de Berlin et devrait encore faire parler de lui. 12 years a boy.
Histoire de famille aussi avec Happy Christmas, du très prolifique Joe Swanberg (au moins 15 films depuis 2005), figure du mouvement mumblecore : soit des films fauchés, bavards, marmonnés, improvisés, mais au charme fou lorsque réussis. Swanberg est encore mal connu en France car pas distribué – son film le plus récent, Drinking Buddies, est sorti directement en VOD en France sous le titre hongsangsooïen Ivresse entre amis. Happy Christmas se passe bien sûr à Noël : un couple (Mélanie Lynskey et Swanberg soi-même), voit débarquer et squatter chez eux la jeune sœur de ce dernier (Anna Kendrick, vue dans Twilight), déboussolée par une rupture. Elle est immature, ils ont un bébé et le clash est inévitable.
Air connu, dans la vie ou comme chez Swanberg, mais on aime la façon crâneuse dont le film affiche son dénuement (lumière chiche en appartement, 16 mm) et tire le meilleur de ses actrices – les hommes sont en retrait, Swanberg compris. On y brasse maternité, responsabilité et plan de carrière mais avec assez d’humour et de légèreté : notamment quand un personnage s’essaie à l’écriture de littérature érotique et qu’il faut pinailler sur des synonymes radicaux de vagin et pénis. Bonus sur le gâteau : Lena Dunham en copine d’Anna Kendrick, déstabilisante au début puisque son personnage paraît beaucoup plus sensé que dans Girls. Mais le naturel revient au galop, avec son franc-parler aiguisé. La vraie star du film est en fait Jude Swanberg, le propre fils du réalisateur, au timing comique impeccable pour son âge : deux ans. Comme pour Boyhood, on est curieux de le voir grandir dans les films de son papa.
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