Notre critique ciné Léo Soésanto est au festival Sundance, dans l’Utah, haut lieu du cinéma indépendant. Jour après jour, il chronique les films présentés.
Le festival de Sundance a trente ans et son fondateur Robert Redford a le sourire triste. Au Hollywood Reporter daté de cette semaine, il déclarait : « comment ne pas être satisfait par un succès ? Mais les premières années étaient les meilleures ». Nos plus belles années* ? L’époque où Sundance était le centre de l’âge d’or du cinéma indé US de la fin des années 80 : petits moyens, grandes idées et révélations de, entre autres, Soderbergh (Sexe, mensonges et vidéo) Tarantino (Reservoir Dogs) ou Kevin Smith (Clerks). Depuis, le cinéma « indépendant » américain est devenu un marché comme un autre et un cliché. Un moyen pour des stars de s’encanailler dans des rôles dits à risques, démaquillés, à poil ou aux toilettes – on peut reconnaître un indé US si les personnages sont filmés à l’œuvre sur la cuvette et, suprême transgression, oubliant de se laver les mains après coup.
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Trente ans plus tard, l’audace d’alors du cinéma indé s’est déplacée vers les séries TV du câble (HBO m’a tué). Pas de quoi refroidir l’enthousiasme des festivaliers (« it’s good », « it’s great », déclamés à longueur de journée et sans nuances à la sortie des salles ou dans les bus) ou de l’armée de bénévoles en doudoune bleue Kenneth Cole qui vous souhaitent « bon film » comme s’ils vous le servaient à déjeuner.
« I Origins » s’éparpille un peu
On commence avec le nouveau film de Mike Cahill, I Origins. Cahill s’était fait remarquer à Sundance avec Another Earth (2011) : le pitch était séduisant (une planète Terre identique à la nôtre est découverte au télescope, ses habitants sont nos doubles), mais l’exécution, mélange de SF existentielle et de mélo, était inaboutie. Le film avait le mérite de révéler Brit Marling, actrice cérébrale et sensible à la fois aussi à l’aise dans la déprime que pour nous convaincre qu’elle étudie l’astronomie. I Origins a le même travers : belle idée que celle de Michael Pitt en scientifique s’échinant à prouver que les yeux ne sont pas le miroir de l’âme, qu’ils ne sont pas un dessein de Dieu. Le film s’éparpille ensuite sur de nombreuses pistes (déjà vu, coïncidences, crise de couple, vie après la mort, misère dans un pays exotique) sans trop convaincre. D’autant que Cahill, moins rigoureux que son savant, a la réponse toute prête à son expérience. Mais Brit Marling est toujours craquante en laborantine à lunettes et I Origins donne envie de scruter iris et pupilles de près, magnifiés à l’écran en chatoyantes planètes étranges.
Sinon, il est possible de voir des films non américains à Sundance. Le britannique Lilting, réalisé par Hong Khaou, est le genre de film que l’on a envie d’aimer sur la seule foi de son duo improbable d’acteurs : le mignon Ben Whishaw et Cheng Pei-Pei, la mythique actrice des films d’arts martiaux de la Shaw Brothers dans les années 60. Whishaw cherche à se lier avec Cheng, mère de son amant brutalement tué dans un accident de la circulation. Problème 1 : elle ne parle pas anglais. Problème 2 : elle ignorait l’homosexualité de son fils. Comment lui avouer la vérité, c’est le suspense bien mené de ce film pudique en diable, très touchant. Voir deux personnes communiquer via un traducteur, ça peut paraître rasoir sur le papier, mais Lilting rend palpable ce mélange de gêne et soulagement lost in translation par les regards, le langage corporel et la circulation de la parole. En fait quelque chose de ciné-génique, loin de ces plateaux télé plan-plan champ-contrechamp où George Clooney écouterait à l’oreillette les super-questions traduites de Laurent Delahousse.
« Liar’s Dice », jumeau dark de « The Lunchbox »
Plus loin, Liar’s Dice de Geetu Mohandas est le parfait jumeau maléfique du feelgood movie indien de l’an dernier, The Lunchbox : une évocation de l’Inde moderne hors Bollywood, un couple réuni par le hasard. Il faut y ajouter une petite fille, une chèvre domestique et une touche de road movie. Une habitante d’un village de l’Himalaya part à la recherche de son mari, un ouvrier du bâtiment à New Delhi qui ne donne plus signe de vie. Elle prend pour guide un voyageur taiseux, ronchon, finalement protecteur, pour une odyssée de plus en plus dark, mais sans violence explicite. Très vite, on sent que le sort va s’abattre sur la pauvre épouse. La réussite du film est que, même avec cette intuition, la suite des évènements surprend. On n’est pas non plus sûr de vouloir se repasser le film en boucle.
Enfin, on sort de Boyhood, le nouveau film très attendu de Richard Linklater (Before Sunset), puisqu’il s’agit de ce projet atypique, filmé sporadiquement depuis douze ans, où l’on suit un gamin jusqu’à l’adolescence et ses parents (Ethan Hawke et Patricia Arquette). On essaie de mettre des mots dessus pour le prochain post, mais c’est beau, ambitieux quand on y pense (un vrai teen-movie en temps presque réel) mais désarmant de modestie.
Léo Soesanto
* titre du film de Sydney Pollack (1973), avec Robert Redford et Barbra Streisand
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