Adaptation d’une saga gothique pour ados. Une heure brillante et une heure de débandade moralisante.
Sublimes créatures est si violemment scindé en deux qu’il faut se pincer pour croire que la même personne y est aux commandes de bout en bout. Une heure durant, c’est un superbe – employer l’épithète du titre serait exagéré – coming of age movie mâtiné de fantastique, qui reprend avec aplomb le flambeau (en or massif) laissé par Twilight et Harry Potter. L’heure suivante, interminable, nous enfonce dans les marais idéologiques les plus poisseux de l’Amérique.
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Assez simplement, Sublimes créatures raconte, dans une petite ville fictive de Caroline du Sud où l’on compte plus d’églises que de restaurants, la romance entre un jeune “mortel” et une “jeteuse de sorts” que des siècles de vindicte et d’intolérance religieuses auraient dû tenir éloignés. Mais l’amour a ses raisons que la raison, etc.
On pressent là le genre de maléfices qu’un tel high concept (“tu prends Twilight, tu remplaces les vampires par des sorciers, et tu donnes les superpouvoirs à la fille”) aurait pu engendrer chez un tâcheron lambda. Soyons reconnaissants à Richard LaGravenese, tout aussi capable de réaliser un navet tel que P.S. I Love You que d’écrire le scénario de La Route de Madison, de valoir un peu plus que cela. S’appuyant sur l’univers southern gothic (tendance du moment) conçu par Kami Garcia et Margaret Stohl dans leur saga pour ados (16,17, 18 et 19 lunes), LaGravenese excelle surtout dans la caractérisation des personnages et la direction d’acteurs.
Jeremy Irons (injustement tenu éloigné des meilleurs rôles depuis longtemps), Emma Thompson et Viola Davis composent ainsi de merveilleux personnages secondaires, cabotinant juste ce qu’il faut pour électriser le film. Mais c’est surtout Alden Ehrenreich, le quasi-débutant tenant ici le rôle principal, qui impressionne. “Quasi-débutant” : les plus attentifs n’ont en effet pas oublié son interprétation pleine de classe dicaprienne dans Tetro, ni celle, moins notable mais charmante, dans Twixt du même Coppola.
C’est véritablement lui, plutôt que sa jeune compagne Alice Englert, un peu terne, qui tient le film. Une scène en particulier marque les esprits : contraint par un sortilège à imaginer et à raconter sa vie future dans ce qu’elle pourrait avoir de plus sinistre, il donne chair, avec une aisance folle, à la panique qui soudain saisit son visage de jeune idéaliste. Et le film, qui moque impitoyablement la bigoterie des Américains et cite crânement Kurt Vonnegut Jr., Charles Bukowski ou Bob Dylan (géniale interprétation de Subterranean Homesick Blues), semble alors s’inscrire dans la tradition des American Graffiti, Say Anything, Mean Girls…
Puis, insidieusement, comme s’il fallait donner des gages à la frange conservatrice du public après avoir trop penché de l’autre côté, chacun rentre dans le rang. “L’amour est un leurre inventé par les hommes pour garder leur femme au foyer”, entend-on (de mémoire) de la bouche de la terrible sorcière Emma Thompson : on vous laisse deviner ce qui lui arrive pour avoir prononcé parole si impie.
Jacky Goldberg
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