Chaque mois, la plateforme de streaming renouvelle sa sélection de films d’auteur, composée à partir d’œuvres choisies par d’autres cinéastes. Des classements qui, au-delà du désir de spectateur·rice qu’ils suscitent, permettent d’envisager la persona cinéphile des réalisateurs·rices qui les rédigent.
Il y a plusieurs façons d’entrer dans La Cinetek. La plus utilitaire consiste à taper dans le moteur de recherche de cette plateforme de films d’auteur le titre de l’œuvre qu’on désire voir pour, si l’on ne figure pas parmi les abonné·es, la louer à l’unité. Mais on peut aussi y entrer non pas par les films exposés, mais par la succession de listes des films préférés de cinéastes qui en ont constitué le catalogue. En effet, la particularité de la plateforme est d’avoir agrégé des classements d’auteur·rices internationaux·ales pour constituer son fonds.
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La tentation du·de la cinéphile curieux·se est donc de se promener dans la liste. Moins par désir de trouver un film à voir que pour la finalité sans fin de jouir de toutes ces listes. Et de tenter de cerner la psyché cinéphile qui anime tel·le ou tel·le cinéaste. Le goût cinéphile en détermine-t-il totalement l’univers et la manière ? Ou est-ce qu’au contraire, parfois, il l’excède, lui échappe ?
La liste passionnante de Dario Argento
On observe avec soin la liste de Dario Argento et on y trouve ce à quoi on s’attend : des images primitives de la peur (Nosferatu le vampire, Metropolis, Dracula de Browning, Vampyr de Dreyer, Blanche-Neige et les Sept Nains – le plus effrayant des Disney), plusieurs générations de grands formalistes de l’angoisse (Tourneur, Hitchcock, De Palma, Romero).
Egalement, plus inattendu, une histoire extrême orthodoxe du cinéma italien (Rome, ville ouverte, La Dolce Vita, L’Avventura, Le Guépard…), mais aussi plusieurs films de cinéastes Nouvelle Vague ou associés (Godard, Truffaut, Resnais). Et comme dans un nombre important de listes, le choix de films s’interrompt à peu près au moment où l’auteur de la liste devient cinéaste – pour Argento, le début des années 1970. Comme si le rapport au cinéma des réalisateur·rices se faisait le plus souvent en deux temps disjoints – celui de pur·e spectateur·rice, celui de pur·e praticien·ne.
Comme si, devenu·e praticien·nes, les réalisateur·rices cessaient d’être profondément affecté·es par les films des autres, devenaient des spectateur·rices moins impressionnables. Comme si les films d’une vie étaient essentiellement stockés durant la jeunesse.
Les choix fascinants d’Apichatpong Weerasethakul
Comme de nombreuses autres, la liste d’Apichatpong Weerasethakul se plie à cette loi : son choix le plus récent est La Captive de Chantal Akerman, sorti en 2000, l’année où Apichatpong tourne son premier long métrage, Mysterious object at Noon. La liste du réalisateur d’Oncle Boonmee... n’est pas moins l’une des plus originales et fascinantes de La Cinetek.
Elle se distingue par sa très grande variété : des films de sept ou huit heures (Le Tango de Satan de Bela Tarr, Empire d’Andy Warhol) et des films de trois à treize minutes (courts métrages signés Len Lye ou Kenneth Anger), de la série B horrifique (l’excellent Re-Animator de Stuart Gordon), un Lubitsch muet (Comédiennes, 1924), un Griffith très ancien, avant qu’il n’ait recours aux échelles de plans et mouvements d’appareil (The Unchanging Sea, beau mélodrame de dix minutes de 1910), de la contre-culture camp seventies (Russ Meyer, John Waters), quelques maîtres asiatiques (Edward Yang, Hou Hsiao-hsien, Tsai Ming-lIang, Oshima).
Et puis bien sûr quelques films clés, dont on se dit qu’ils contiennent en germes une bonne part du monde que déploiera par la suite Apichatpong Weerasethakul : Vaudou de Jacques Tourneur, grand film de tropicale maladie dont la poésie somnambulique exsude de presque chaque film du cinéaste thaïlandais.
La très courte durée de beaucoup des films choisis permet de les binger avidement. Les plans sur des yeux de chevaux et les chiens errants du Valentin de las Sierras de Bruce Baillie (1971) se glissent parmi les sublimes plans de quartiers d’orange d’Orange de Karen Johnson (1971). Détachés par des doigts filmés de si près, leurs formes deviennent indistinctes, abstraites, et les matières (peau d’orange, pulpe, peau humaine) fusionnent dans une déflagration érotique.
Les beaux plans en noir et blanc de singes enfermés du Primates de Wiseman (1974) s’encastrent imaginairement aux visages humains altérés par la lèpre dans le sublime La Maison est noire de Forough Farrokhzad (1962). Dans la jungle s’ébattent des créatures disparues (Le Monde perdu, 1924, et ses merveilleuses maquettes de dinosaures). Dans un théâtre de marionnettes, tous les objets s’animent et libèrent leur puissance fantôme (Street of Crocodiles des frères Quay, 1985). Alors se compose mentalement un kaléidoscope weerasethakulien fait d’images non tournées par lui.
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