Malgré les apparences, Strange days de Kathryn Bigelow n’est pas un film de science-fiction. Ancré à Los Angeles, la ville où eurent lieu les émeutes suite à l’affaire Rodney King, le film dans sa couleur plastique et politique est plus proche du présent que du futur : violences, atmosphère de guérilla urbaine, bandes de flics […]
Malgré les apparences, Strange days de Kathryn Bigelow n’est pas un film de science-fiction. Ancré à Los Angeles, la ville où eurent lieu les émeutes suite à l’affaire Rodney King, le film dans sa couleur plastique et politique est plus proche du présent que du futur : violences, atmosphère de guérilla urbaine, bandes de flics à chaque coin de rues, racisme et concentration de l’action sur les deux derniers jours de ce siècle : les 30 et 31 décembre 1999. La planète s’apprête à changer de millénaire et transpire une tension hystérique. La foule en liesse grouille de tous côtés, surchauffée et unie dans ses frustrations économiques et sexuelles. L’écart temporel réduit ne démarque ni les vêtements ni les musiques (Juliette Lewis en rock-star chante du PJ Harvey).
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Le film tourne autour de la question du regard et de l’expérience de l’autre comme marchandise. C’est alors le simulacre qui entre en jeu et fait sourdre chez le spectateur une peur intime et névrotique. Lenny Nero vend du vécu, distillé par l’intermédiaire d’un casque directement branché sur le cortex : le télétrip. Il est une sorte de dealer de sensations, de celles qu’a priori on garde sous clé dans un coin du cerveau. Ces « vidéos » permettent non seulement de visionner les faits et gestes d’autrui, mais de ressentir leurs émotions pendant l’acte. On peut ainsi expérimenter toutes sortes de situations extrêmes : sexe, braquages, etc. Un objet fascinant, qui permet de se glisser dans la transgression ni vu ni connu, sans aucun risque. Un objet qui offre surtout la possibilité inédite de se projeter physiquement et cérébralement dans l’autre, ou de revivre ses propres souvenirs, enregistrés sur cassette. Ce que fait Lenny avec Faith, son ancien amour, qu’il ne peut plus aimer qu’à distance ou par télétrip interposé. Filmées en caméra subjective, ces vidéos plongent l’utilisateur au cœur de l’action, mais de façon pervertie puisqu’elles le contraignent à une participation passive, subissant ce qu’il voit : la consommation du télétrip est d’ailleurs nommée, de façon symptomatique, « faire du play-back ».
Partant d’un captivant scénario de James Cameron, Kathryn Bigelow a donné à Strange days une texture personnelle. Les personnages sont consistants, la mise en scène maîtrise le chaos de bout en bout, malgré certaines scènes trop démonstratives et le happy-end convenu.
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