Cela tient du comble. Alors que les réjouissances du festival de Cannes se terminent et que la critique mondiale célèbre quasi-unanimement la Palme d’or décernée à La Vie d’Adèle, Chapitre 1 & 2, une partie des Français suit, sans avoir eu la chance de voir autre chose qu’une bande annonce, une série de polémiques mêlant politique, syndicalisme et autres commentaires n’ayant rien à voir avec une quelconque démarche artistique. Tour du Kechiche Bashing en quatre points.
• Argument 1 : un tournage « difficile »
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Le festival de Cannes s’est ouvert en plein remue-ménage autour de la refonte de la convention collective gérant le statut et le salaire des techniciens. Le 23 mai, le jour de la montée des marches de l’équipe Kechiche, le Spia-CGT, principal syndicat de l’audiovisuel, placarde dans un communiqué les mauvaises conditions de tournage de La Vie d’Adèle. Le procès porte sur des heures de travail non-déclarées, des tarifs au rabais, un tournage rallongé de deux mois et emploi du temps extrêmement changeant. Rien de bien nouveau dans ce monde qui, balançant entre création, budgets hyper-serrés et/ou coûts de fonctionnement astronomiques, est régi par de petits arrangements en marge du code du travail sans lesquels certains films seraient tout simplement impossibles à faire. Mais la CGT tient là une fenêtre de tir incomparable et s’attache à ériger le réalisateur en mauvais élève exemplaire.
Commentaire : tout le cinéma et les pouvoirs publics discutent pour trouver l’équilibre idéal qui ménagerait à la fois le droit du travail et la pérennité des films à petits budgets. Ce n’est pas une question facile à résoudre et il est injuste de faire porter ce chapeau collectif au seul Kechiche sous prétexte de Cannes et de palme d’or.
• Argument 2 : Kechiche, l’égo-maniac
Depuis peu, lorsque l’on parle de Kechiche, les commentaires, insidieux comme une rumeur, brossent un portrait tyrannique du nouveau-palmé, tout entier à son intention et très peu regardant sur le bien-être de ses congénères. En cause, la « brouille » d’Abdellatif Kechiche avec ses deux actrices principales. Ce dernier, intransigeant, aurait fait tourner près de 750 heures de rushes parmi lesquelles de nombreuses scènes d’intimité non simulées, écartées au montage. Deuxième pique relevée, lors de la remise de la Palme attribuée conjointement au réalisateur, à Léa Seydoux et à Adèle Exarchopoulos, un seul nom manquait au milieu des pleurs : celui de Julie Maroh, l’auteure de la bande dessinée Le Bleu est une couleur chaude dont s’est inspiré le Franco-tunisien. Cette dernière a publié un texte sur son blog, où elle raconte ne pas avoir été tenue au courant de l’état d’avancement du film et ne pas avoir été invitée à monter les marches.
Commentaire : il arrive que dans l’émotion d’un prix et le minutage du temps imparti au discours, on en oublie de remercier Untel ou Unetelle. Il est notoire que le film est adapté de la BD de Julie Maroh, tous les articles l’ont mentionné, et il n’est pas très classe de la part de l’auteure de vouloir ramener à elle la cérémonie cannoise. Le film est signé Kechiche, pas Maroh et il n’est écrit nulle part que l’auteur d’une œuvre transposée au cinéma doit être obligatoirement intégré au processus de fabrication du film. Il est même souvent recommandé et recommandable qu’un cinéaste « trahisse » le livre dont il s’inspire. Plus généralement, il est possible que Kechiche ait un ego immense, mais ni plus ni moins que des centaines de cinéastes et d’artistes avant lui. L’ego surdimensionné est chose acceptable quand les œuvres sont grandes, et c’est bien le cas ici.
• Argument 3 : un film trop lesbien
Christine Boutin a encore frappé. Porte-parole du conservatisme bourgeois décomplexé, elle s’est exprimée, lundi 27 mai, sur l’attribution de cette Palme plutôt Queer coïncidant le jour des exercices musculaires organisés de la Manif pour tous. Et cela donne : « On ne peut pas voir un film, une série à la télévision sans qu’il y ait les gays qui s’expriment. Maintenant, c’est la Palme d’or, bon, ça va, quoi. Voilà. » Ou encore: « Aujourd’hui, la mode, c’est les gays.(…) On est envahis de gays. »
Commentaire : sans commentaire.
• Argument 4 : un film pas assez lesbien
Un film d’amour entre femmes tourné par un homme, celui pourrait être perçu comme un acte progressiste. On pourrait juger La Vie d’Adèle par la justesse de sa mise en scène, son incroyable aplomb lui permettant d’envoyer des scènes inédites de sensualité, de durée et de précision. Ou alors on peut confondre ce film de fiction avec un documentaire sur la sexualité lesbienne et dénoncer une vision trop masculine et fantasmée des ébats de Léa et Adèle. Julie Maroh, bien qu’elle affirme apprécier le film, résume : « Un étalage brutal et chirurgical, démonstratif et froid de sexe dit lesbien, qui tourne au porn, et qui m’a mise très mal à l’aise ».
Commentaire : c’est le ressenti de Julie Maroh et il est respectable. Il n’est cependant pas du tout partagé par l’immense majorité de ceux qui ont vu le film (hommes et femmes, et on le suppose, hétéros, gays ou lesbiennes mêlés) et qui ont jugé ces scènes de sexe comme une des plus belles choses vues au cinéma depuis longtemps et comme nécessaires à une profonde compréhension des personnages et de ce qui leur arrive dans la suite du film.
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