L’auteur coréen de Old Boy réussit un film à la fois spectaculaire, gothique et pervers. Une première incursion à Hollywood dans le sillage d’Hitchcock.
On n’a jamais été tendre avec le cinéma de Park Chan-wook : trop tape-à-l’œil, hystérique, sadique. Certes techniquement doué, le Coréen en fait des tonnes quand il pousse ses personnages-marionnettes vers l’abîme (Vengeance ! Culpabilité ! Désastre !). Epuisant, donc. On est d’autant plus surpris par la réussite de ce Stoker que le film sentait le piège. C’est la première réalisation de Park aux Etats-Unis – ce qui signifie ferrailler souvent avec les studios, la censure ou les stars (de Jean-Marie Poiré à John Woo, la condition du cinéaste étranger tentant Hollywood est très contrastée). Alors, que s’est-il passé ? Park dit avoir coupé vingt minutes à la demande du studio Fox Searchlight mais, en l’état, le film reste délicieusement tordu, presque sobre selon ses critères. Une explosion chromatique, pop, chic, typique de Park, mais dont la délocalisation a filtré le grotesque poussif.
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Fan d’Hitchcock, le réalisateur s’attaque à une relecture moderne de L’Ombre d’un doute, écrite en douce par l’acteur Wentworth Miller, l’évadé tatoué de la série Prison Break. Hitchcock et Park ont tous deux étudié dans une école jésuite et forcément beaucoup appris question répression. Un séduisant oncle Charlie vient tenter, séduire, corrompre sa jeune nièce India, mais aussi, pendant qu’on y est, la mère de cette dernière. Durant un long moment, perturbé par le titre (le nom de l’auteur de Dracula) et le teint trop lisse de prédateur de tonton (Matthew very Goode,indeed ), on s’égare sur la piste du film de vampires. Alors qu’il n’en est rien.
C’est la grande réussite de Stoker de paraître surnaturel, éthéré, gothique, parfois illogique, alors que son histoire est juste terre à terre, crapuleuse. Pour faire passer cela, Park s’en donne à cœur joie avec des travellings en arabesque ou une palette de couleurs saturées. Il transforme la rencontre Charlie/India en conte de fées pervers, avec une fixette sur Cendrillon (notamment au rayon chaussures). Fidèle à lui-même, Park veut bien sûr tout casser côté bienséance, avec l’aide précieuse de Mia Wasikowska et Nicole Kidman, fille et mère intenses sans jamais surjouer. C’est encore l’idée de famille qu’elles éclatent, à coups d’Œdipe et d’amour contrarié de maman pour sa progéniture. En un monologue glaçant, Kidman, en mode Milf maximum, finit par cracher son fiel sur ses devoirs maternels (“On veut que ses enfants réussissent là où on a échoué”), tandis que Wasikowska impressionne en ado bizarre, introvertie et en fleur, mais prompte à sortir ses épines.
On pense forcément aux ados rageurs, passifs/agressifs de l’autre disciple hitchcockien Brian De Palma (Carrie en tête). Mais Stoker finit même par chambouler l’idée d’hérédité, de répétition et d’initiation avec une série de twists. Dont celui, et non des moindres, qui consiste à avoir in fine tricoté une variation sur Old Boy (personnage trop longtemps captif + inceste). Un relookage sexy où les femmes auraient (enfin) le meilleur rôle. D’old boy à young girl, il n’y avait donc qu’un pas.
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