Avec la sortie de Hors d’atteinte en décembre 98, Steven Soderberg continue de brouiller les pistes, confirmant un goût peu courant pour l’éclectisme. Le cinéaste nous parle de ce film modeste conjuguant élégance et efficacité, adapté d’un roman de Elmore Leonard, avec un George Clooney et une Jennifer Lopez excellents. Un grand film du samedi soir.
Steven Soderbergh est un cinéaste intrigant, pour ne pas dire insaisissable. Quel rapport en effet entre Sexe, mensonges et vidéo, Kafka, King of the hill et Schizopolis ?
Il y a deux explications à cela : je suis d’abord quelqu’un d’assez versatile et cela ne m intéresse pas de réaliser toujours le même genre de film. De plus, je pense qu’il est important quand on est cinéaste d’avoir peur, d’essayer des choses qu’on n’est pas sûr de réussir, de prendre des risques. C’est ma façon de fonctionner. J’ai aussi beaucoup de chance de me permettre ce genre d’écart, de pouvoir passer d’un style à un autre. Certains cinéastes développent un style, une esthétique qui leur est propre et qu’ils utilisent de film en film. Leur travail consiste ensuite à trouver des histoires qui puissent convenir à leur style. Ma méthode est totalement différente. Je suis à la recherche de sujets intéressants et je réfléchis au style qui conviendrait le mieux pour les mettre en scène. C’est pour cela que mes films sont si différents et que je n’ai pas de style particulier.?
Avec Hors d’atteinte, un polar, Soderbergh renoue avec le succès grâce à un film qui est paradoxalement le moins personnel de sa carrière, soit une pure commande qui ressemblerait plutôt à un cadeau.
J’ai reçu un coup de fil d’Universal, une fin d’après-midi. Ils avaient un projet de film et ils cherchaient un réalisateur. J’ai lu le script dans la nuit et l’ai trouvé formidable. George (Clooney) était déjà impliqué dans le projet et j’ai tout de suite su que ce serait le meilleur rôle de sa carrière. J’ai appelé pour dire que j’adorais le script, que Clooney serait très bien et que j’étais la personne indiquée pour faire le film mais que ma réponse était non. J’ai prétexté que j’avais d’autres projets en cours et que je détestais interrompre un travail. J’ai fini par me faire convaincre qu’une telle opportunité n’allait pas se reproduire de sitôt et je suis revenu sur ma décision. Ce qui m a séduit dans cette proposition, c’est que Hors d’atteinte est un film sans prétention. C’est pourtant pour moi le film de la maturité, justement parce qu’il ne se prend pas au sérieux. Quand vous êtes un jeune cinéaste, vous avez tendance à vous prendre et à prendre vos films trop au sérieux. Il y a dans Hors d’atteinte une énergie, une décontraction que j’aime bien, qui provient d’un certain recul, d’une distance que l’on prend par rapport aux choses et qui survient avec l’âge et l’expérience. Ce n’est pas le film d’un jeune homme, au sens péjoratif du mot.?
Adaptation d’Elmore Leonard, l’ambition de Soderbergh est de s’inscrire dans une tradition du film noir, avec son recours précoce au flash-back (Wilder), ses récits embrouillés (Hawks), jusqu’à ses emprunts des tics de la modernité (Le Point de non-retour de Boorman).
La construction en flash-backs n’était ni dans le roman ni dans le premier scénario. Quand l’histoire était racontée de façon chronologique, il y avait trop d’informations et d’éléments à mettre en place ; cela mettait trop de temps pour introduire le personnage de Jennifer Lopez. On a essayé plusieurs solutions, mais le scénariste a trouvé que la meilleure était le flash-back..?