Stephen Dorff a été jeune premier plein d’avenir puis has been prématuré. Dans « Somewhere », Sofia Coppola le tire de l’oubli pour lui faire interpréter l’émouvant partition d’un acteur en crise.
Fin d’après-midi à l’hôtel Bristol, à l’heure où les « talents », rincés par les interviews à la chaîne, sont généralement pressés d’en finir… Une bonne surprise nous attend au bout du couloir : Stephen Dorff semble en pleine forme, ravi de papoter. Nous ne lui avons pas encore posé la moindre question que l’acteur, nous voyant sortir un iPhone, se lance dans un éloge de la fonction dictaphone, grâce à laquelle il peut enregistrer ses idées de mélodies.
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S’ensuit la première des nombreuses digressions à venir, où il nous confie son rêve d’entamer une carrière parallèle de compositeur de musiques de films, comme jadis son père. Longuement, et alors qu’on n’a toujours pas pu en placer une, il nous raconte ensuite comment il est arrivé à Los Angeles à 6 mois, dans les valises de ce père, Steve Dorff, songwriter de country music travaillant à l’occasion pour Hollywood.
« Il a fait la musique de gros films d’Eastwood. C’était avant que Clint ne devienne respectable. Je lui dis tout le temps : papa, c’est aujourd’hui que tu devrais bosser avec lui ! », raconte-t-il d’une belle voix de fumeur en allumant sa première clope, le sourire aux lèvres.
On sent chez lui l’envie tenace de se raconter, de dérouler le roman de sa vie, qu’il n’a pas dû si souvent avoir l’occasion de partager. L’envie aussi d’apparaître pour autre chose qu’un bellâtre au torse musclé, de gagner enfin ses galons d’acteur respectable.
Acteur et rien d’autre
Agé de 37 ans, Stephen Dorff a eu un parcours classique quoique semé d’embûches. Inscrit grâce aux succès musicaux de « papa » dans une école privée pour gosses de stars, il suit un jour l’un d’entre eux sur un plateau de cinéma et, à 10 ans, se dit qu’il ne fera rien d’autre de sa vie : « C’est la seule école qui vaille, la seule où les professeurs me donnaient envie d’apprendre. »
Suivent quelques cours d’art dramatique, « approuvés sans être encouragés » par des parents méfiants, des castings à la pelle, quelques petits rôles dans des téléfilms et séries B au milieu des années 80 (The Gate, en 1987). Son premier job d’importance arrive en 1992 dans La Puissance de l’ange de John G. Avildsen (le réalisateur de Rocky et de Karaté Kid), où il trimballe ses manières d’adolescent bagarreur en Afrique.
Les années 90 dessinent un chemin relativement tranquille : il est Stuart Sutcliffe, le cinquième Beatles, dans Backbeat en 1994 (on a vu meilleure façon de se prémunir contre l’échec), Deacon Frost, le bad guy de Blade en 1998 (son apparition la plus iconique à ce jour), ou Cecil B. Demented, le cinéaste allumé de John Waters, dans le film du même nom, en 2000.
« Au début de ma carrière, j’ai essayé de résister aux films commerciaux. J’étais plus intéressé par les films d’auteur. J’aimais faire des choses difficiles, comme jouer une femme dans I Shot Andy Warhol (film sur la vie de Valerie Solonas – ndlr)… Mais petit à petit, et c’est encore vrai aujourd’hui, j’ai été catalogué dans le même genre de rôle : le méchant, le méchant, le méchant. Je me suis demandé : Qu’est-ce qui se passe ? Pourquoi je n’ai plus jamais de rôles comme ceux de mes débuts ou celui du film de Sofia ? »
« Les réalisateurs m’ont toujours sauvé la vie »
Somewhere ressemble ainsi à une bouée de sauvetage après une décennie passée à barboter dans les eaux glaciales du direct-to-DVD, cet univers impitoyable où, tiré vers le fond par les naïades Gérard Pirès (Steal, 2002) ou Uwe Boll (Alone in the Dark, 2005), personne ne vous entend crier… Personne sauf les Coppola : le père déjà, avant la fille.
Francis fut à deux doigts de l’engager pour le rôle principal de L’Homme sans âge (2007) : « Je suis allé le voir à Napa, j’ai fait des essais maquillage mais j’étais trop jeune pour le rôle, qui devait aller jusqu’à 70 ans. Je voulais à tout prix trouver une solution, convaincre tout le monde que ça allait le faire, mais non. »
Le plus étrange avec ce nouveau rôle dont il a conscience qu’il risque de changer sa vie, c’est qu’il n’a même pas eu d’effort à produire pour le décrocher.
« Je connais Sofia depuis longtemps, par Zoe Cassavetes qui est une amie commune. Depuis qu’elle avait tourné Marie-Antoinette, déménagé à Paris, fondé une famille, on avait perdu contact. Un jour, mon agent m’appelle : ‘Sofia pense à toi pour son prochain film.’ Je garde mon sang-froid. Deux semaines plus tard, je reçois le script, très mince, accompagné d’un petit livre avec des idées sur le film, des photos, des inspirations… Je suis venu à Paris voir Sofia, on a parlé, et une semaine plus tard elle m’annonçait que j’avais le rôle. Les réalisateurs m’ont toujours sauvé la vie. »
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