L’un des derniers rôles de Guillaume Depardieu : une chronique sur l’enfance située à la fin des années 70. Un très beau film à fleur de peau.
Mises bout à bout, ses apparitions occupent une part infime du film. On discerne la silhouette, remarquable entre toutes, mais partiellement, à distance. Il faut prendre le temps de bien la regarder : fumer, boire un verre, jouer une partie de billard. Guillaume Depardieu est l’ange blond et destroy qui veille à sa manière. Présent et absent, mélancolique et bienveillant, au fond du spleen, du champ, au bord de disparaître. Avec d’autres, il fait partie du quotidien de Stella, 12 ans, dont les parents tiennent un café en périphérie parisienne, essentiellement fréquenté par des ouvriers. On est en 1977. Les journées de Stella se partagent entre l’école – une fraîche entrée en sixième où elle se sent mal à l’aise – et l’atmosphère bruyante et enfumée du commerce familial. Famille, clients, amis y ont aussi leur place, leur rôle à jouer, mais seulement après que Stella a d’abord circonscrit son univers à celui de l’enfance. En se plaçant à hauteur de regard et de voix (off), juste avant la bascule dans “l’âge ingrat”.Le troisième long métrage de Sylvie Verheyde, justement fêté au dernier Festival de Venise, se situe à la lisière de la chronique sur l’enfance, du film de mœurs et du pur objet nostalgique. Il puise à la source de chaque genre, et trouve le bon dosage, à l’origine d’une belle cohésion formelle : alternance des séquences structurées de l’école, et d’un mouvement consubstantiel au regard de l’héroïne. Jamais figées, les figures du réel ont cette espèce d’éclat fuyant, ce tourbillon précis, identifié, conforme au regard sélectif d’une conscience encore enfantine. La caméra épouse ce qu’elle devine et projette du rythme intime de Stella. Le mouvement émane aussi des sujets filmés, dans la veine d’un naturalisme heureux à la Renoir : dans le rendu d’une atmosphère de café, Sylvie Verheyde s’éclate (elle a grandi dans ce milieu, Stella c’est évidemment elle), les acteurs aussi. Benjamin Biolay en papa accro au pastis, Karole Rocher en femme à poigne brisée, et Johan Libéreau, barman à la présence apaisante, tous sont simplement géniaux. Ils recomposent, avec la faune du café – épicuriens éclopés, abîmés, avinés –, un improbable cercle familial autour de l’héroïne. Car Stella, bien que chevillé à l’enfance, est également un merveilleux film de bande, de l’être-ensemble, passant par une circulation de la tendresse, de la violence – un élan collectif. A ce stade, le film se laisse volontiers déborder par son double fond nostalgique, hommage à une époque. On aime le marcel blanc de Biolay, et ce bracelet en mailles argentées orné de son prénom, qui fit fureur jusqu’à la fin des années 80. On aime encore plus le défilé de tubes (Où sont les femmes ? de Patrick Juvet, Couleur menthe à l’eau d’Eddy Mitchell), qui s’emparent des scènes sans prévenir, parenthèses savoureuses au premier plan desquelles Stella va opérer sa mue. Un très beau film.
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