Rogue One: A Star Wars Story et Assassin’s Creed, les deux blockbusters de la fin 2016, interrogent leur ancrage dans l’univers du jeu vidéo.
A l’heure où la déferlante de la virtual reality fait trembler la ligne de démarcation entre cinéma et jeu vidéo, inventant à la jointure des deux médias un mode inédit de perception dont écloront bientôt des manières neuves de raconter, d’impliquer le spectateur (ou le joueur ? il faudra bientôt lui trouver un nouveau nom), ce sont justement les deux principaux titres blockbusters de la fin d’année qui soulèvent la question de leur patrimoine commun avec le gaming : Rogue One: A Star Wars Story et Assassin’s Creed.
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A l’instar du très similaire Prince of Persia de Mike Newell (tiré d’une série de jeux elle-même déjà très apparentée à la saga d’aventures historiques d’Ubi Soft), Assassin’s Creed accuse tous les défauts emblématiques de l’adaptation de jeux vidéo, sous-genre proverbialement condamné à la catastrophe industrielle (de Super Mario Bros à Street Fighter) : dégueulement de direction artistique, en cache-misère des malformations profondes du film au point de faire comme un rideau opaque devant lui (littéralement : un brouillard de sound design écrasant et de sable en suspension recouvre toutes les scènes), et surtout impasse fondamentale de l’adaptation, incapable de trouver à l’écran une traduction des mécaniques du jeu et de son gameplay.
Tout ce qui faisait le sel du jeu (l’extrême facilité d’un déplacement dynamique et félin, les heures de flânerie dans l’histoire et les ruelles de cités renaissantes) renvoyait à la liberté du joueur, à sa capacité de choix, à “l’actif” par essence intraduisible du gaming. Drame idiot et prévisible : le film n’est pas jouable.
Irrigué par le jeu
Rogue One, pourtant, l’est. C’est même le propre du spin-off que de rendre un univers filmique virtuellement jouable, en le débarrassant de l’emprise tyrannique de la trame derrière laquelle il se cantonnait à un rôle de fond peint, pour l’ériger en espace sans colonne vertébrale, dépliable, explorable et intarissablement ludique.
La saga de George Lucas a eu beau révolutionner l’industrie du jouet en même temps que celle du cinéma de divertissement, elle n’avait jamais autant été irriguée par le jeu que dans cet épisode annexe, avec sa myriade de planètes proposées comme autant de maps disponibles, ses catégories de personnages inspirées du genre RPG (un moine, un assassin, un pilote, un mercenaire…), son action marquée par la grammaire vidéoludique de la progression (interrupteurs à atteindre, check-points de contrôle, portes qui s’ouvrent et se referment comme des étaux).
Le réalisateur Gareth Edwards et le producteur J. J. Abrams (qui développe en ce moment les adaptations de deux titres du studios Valve, Portal et Half Life, choix très cohérent et bourré de flair : deux jeux secs, débarrassés de toute tutelle cinéphile, dont les hypothétiques versions cinéma n’auront rien d’autre à se mettre sous la dent que du jouable et de la mécanique, sans pouvoir se reposer fadement sur l’univers et le scénario) ont-ils joué au hit Destiny pendant le développement de Rogue One ?
Un seul corps hybride
C’est possible, car on croit bien retrouver dans le film l’alliage de space opera et de modern warfare du jeu des Bungie Studios – à moins qu’il ne s’agisse justement d’une continuité avec Star Wars: Battlefront, le jeu d’action en ligne dont le second épisode, plus centré sur l’expérience solo, est censé coïncider avec la sortie du huitième épisode de la série principale de films.
Et il y a fort à parier que ces deux titres trouveront des façons innovantes de se répondre. Longtemps rivaux, réputés incompatibles (les adaptations en jeux de films n’ont d’ailleurs rien à envier à leurs homologues), jeu vidéo et cinéma apparaissent désormais non pas comme deux frères ennemis, mais comme les bras et les jambes d’un seul corps hybride d’entertainment. Le premier a l’action, le second la narration. Et ils ne peuvent désormais plus se passer l’un de l’autre.
Rogue One: A Star Wars Story de Gareth Edwards, avec Felicity Jones, Diego Luna (E.-U., 2016, 2 h 14)
Assassin’s Creed de Justin Kurzel, avec Michael Fassbender, Marion Cotillard (E.-U., Fr., 2016, 1 h 56)
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