Dans la foulée de The Visit, MNS creuse encore le sillon de la série B horrifique. Avec une virtuosité intacte.
En 2000, alors que sortait le quatrième long métrage de M. Night Shyamalan, l’Amérique semblait “incassable” – la bulle internet, l’hyperpuissance, la “mondialisation heureuse”, les tours jumelles encore debout, etc. Aujourd’hui, tandis que le douzième arrive sur les écrans, le pays, et partant le monde, est plus que jamais divisé – “splité”, en somme.
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Cette figure de la division est inscrite dès les premières scènes du film, dès son premier plan même (dont on sait quelle importance y attache toujours Shyamalan) : un drôle de travelling compensé (à la Vertigo) qui isole la jeune Casey (Anya Taylor-Joy) des autres adolescents, la désigne d’emblée comme une freak.
Découpage virtuose
Tout de suite après, c’est par un découpage virtuose, dans une voiture raptée, que le cinéaste marquera la singularité de son héroïne. Enfin, quelques minutes plus tard, un cadrage on ne peut plus clair finira d’acter la séparation : Casey et ses deux compagnes d’infortune sont disposées de part et d’autre d’une cellule, prisonnières d’un psychopathe aux multiples personnalités.
C’est en réalité ce personnage, interprété avec une forme de génie baroque et un sens inouï du grotesque par James McAvoy – par moments très drôle, à d’autres effrayant –, qui occupe véritablement le centre du film et lui donne son high concept, résumé par l’affiche : “Kevin a 23 personnalités, la 24e est sur le point de surgir…”
Poursuite de sa renaissance artistique
Ce qui est splité, c’est donc la psyché de Kevin d’un côté, la communauté formée par ses victimes de l’autre. Un cinéaste médiocre se serait contenté d’amener cette idée féconde à sa conclusion pépère. Mais Shyamalan, qui poursuit ici sa renaissance artistique entamée avec The Visit, sur le même principe de film d’horreur à petit budget produit par Jason Blum, a plus d’ambition que cela. Beaucoup plus.
On ne dira ainsi jamais assez à quel point, chez lui, le politique et le métaphysique s’incarnent dans des gestes, mêlant le plus abstrait (des idées, des signes, de l’invisible) et le plus concret (de l’humain, des visages, des mains). C’est cet alliage qui s’était émoussé petit à petit, sans jamais toutefois se dissoudre complètement – même ses deux films les plus faibles, Le Dernier Maître de l’air et After Earth, étaient sertis de purs moments de grâce – et dont il retrouve ici, intacte, la formule magique.
On est ainsi d’abord frappé, dès le kidnapping des gamines, par l’attention portée au moindre geste, par la lenteur avec laquelle McAvoy effectue son mauvais coup (et les suivants), par les précautions qu’il prend pour ramasser un emballage de bonbon ; par contraste, la peur qui se lit sur le visage fascinant d’Anya Taylor-Joy (révélée par The Witch) nous scotche à notre fauteuil.
Pas de surprise mais du suspense
Toute l’esthétique du film est bâtie sur ce principe de terreur froide, évitant la violence graphique (pratiquement pas une goutte de sang n’est versée) pour mieux instiller une tension sourde, ultraconcentrée. Pour reprendre la fameuse distinction chère à Hitchcock, il n’y a ici que du suspense, pas de surprise – sauf à la toute fin, que nous ne révèlerons évidemment pas.
Voilà pour le concret. L’abstrait, quant à lui, est une nouvelle déclinaison du grand sujet de Shyamalan : comment une personne, ou une communauté, déchirée par un trauma retrouve-t-elle une forme d’unité – comment fait-elle pour se “déspliter”, si l’on veut user d’un barbarisme ? Et la réponse est toujours la même : par la foi dans un récit mythologique, par la croyance en l’incroyable, par l’acceptation de l’étrange (ou de l’étranger) pour mieux l’intégrer.
En l’occurrence, ceux qu’il faut ici soigner, ce sont les “broken” : ceux qui ont été brisés, enfants, par des mauvais traitements ou des abus sexuels (suggérés par des flash-backs d’une horreur languide). Mais cela a un certain coût, et c’est toute l’ambiguïté prodigieuse de Shyamalan que de rendre à la fois monstrueux et désirable le déferlement de violence qui s’ensuit. Toute une poétique de la bestialité (la chasse, la dentition des tigres, “the beast”…) vient d’ailleurs soutenir ce propos : chassez l’animal, il revient au galop.
Un chef d’oeuvre
Aussi, derrière ses atours de petit film d’horreur malin, Split est un chef-d’œuvre sur le retour du refoulé, qui vise juste à la fois émotionnellement (surtout grâce à un personnage de psy particulièrement lucide) et politiquement (impossible, dans le contexte actuel, de ne pas penser aux vagues populistes qui frappent le monde entier). Est alors posée la question : serait-il toujours fécond, le ventre d’où a surgi la bête immonde ?
Split de M. Night Shyamalan (E.-U., 2017, 1 h 57)
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