Producteur de Jackass, clippeur de Björk et Kanye West, réalisateur de Dans la peau de John Malkovich, Spike Jonze entre cette fois dans la tête d’un enfant avec Max et les maximonstres.
En serrant la main de Spike Jonze, de son vrai nom Adam Spiegel, ce matin-là à son hôtel, quelques détails surprennent. Habillé d’un pantalon à pinces et d’un élégant gilet de laine laissant entrevoir une cravate fancy, rasé de près et les cheveux bien coiffés, une fine moustache se détachant de son visage poupin, il ne ressemble pas à l’image qu’on avait de lui : celle d’un éternel ado ébouriffé dansant en polo comme un possédé sur Praise You de Fatboy Slim, l’un de ses clips les plus célèbres.
A 40 ans tout rond, celui que ses amis surnommèrent Spike (“pointes”) à la fin des années 80 en raison de sa coiffure tout en pics serait-il devenu – attention gros mot – un adulte ? Après avoir enfourné une cuillerée d’un bol de Froot Loops posé devant lui, il s’excuse et répond avec le débit rapide et confus qui le caractérise : “Ouais… non… je… j’évite d’y penser à vrai dire… je ne sais pas. Ça veut dire quoi être un adulte de toute façon ?” Difficile en effet de répondre. Surtout lorsqu’on défend depuis toujours l’idée que la jeunesse est éternelle et à portée de riffs.
Déjà, en 1997, un clip pour The Notorious B.I.G. (Sky’s the Limit) parodiait les clichés du rap en les faisant jouer par des enfants. L’enfance, c’est ce qui double chaque chose dans le monde de Spike Jones. Mais si on lui pose la question du passage à la maturité, c’est que, outre son accoutrement, les lignes de son œuvre semblent avoir bougé. Ainsi, dans Max et les maximonstres, son troisième long métrage adapté d’un livre pour enfants illustré de Maurice Sendak (Where the Wild Things Are), un enfant de 9 ans voyage dans son inconscient, matérialisé par une île peuplée de grosses peluches parlantes et plus ou moins agressives. Il y apprend à controler ses émotions, à devenir responsable.
“Il ne s’agit pas d’expliquer au spectateur ce qu’il faut penser ou ressentir… J’essaie simplement de rendre palpable ce que ça fait d’avoir 9 ans… de devoir trouver sa place dans le monde”, explique Spike Jonze de sa voix aiguë et chevrotante, fermant régulièrement les yeux pour trouver ses mots, fidèle en cela à sa réputation de timide maladif. On raconte même qu’il fut tellement embarrassé devant John Malkovich lors de leur première rencontre, que celui-ci lui demanda au bout d’une heure s’il était américain ou tchèque.
Vincent Lenday, son producteur et protecteur depuis ses débuts dans la photo et le clip il y a seize ans, confirme que l’éloquence n’est pas son fort et ajoute, le sourire aux lèvres, que “c’est sans doute pour paraître plus sérieux et professionnel que, depuis Adaptation (son second film, en 2002, avec Nicholas Cage et Merryl Streep – ndlr), il met des costumes sur ses tournages et lors de la promo”. Cet homme qui a la lourde tâche de rendre possible avec trois fois rien les visions éminemment tordues de son poulain (comme, par exemple, faire de New York un golf géant pour le clip de Feel the Pain de Dinosaur Jr.), s’est confronté cette fois à de coriaces adversaires.
C’est en effet un euphémisme de dire que la production du film, particulièrement longue (cinq ans depuis la première version du scénario), a été semée d’embûches : budget cinq fois plus important (environ 100 millions de dollars) que pour son précédent film, tournage éprouvant de quatre mois en Australie, soucis avec les costumes des monstres (trop lourds, initialement pas assez expressifs, etc.)… Sans compter un bras de fer de deux ans et demi avec les executives de la Warner, qui détestaient le film, trop bizarre, et furent à deux doigts de virer le réalisateur et son équipe. Mais Spike a tenu bon et a trouvé une formule dont il semble très fier : “Ils voulaient un garçon et j’ai accouché d’une fille… Ça les a surpris, forcément, mais ils ont fini par l’accepter… Et par l’aimer, je crois.” Vu le résultat correct au box-office américain (75 millions de recette), le contraire eût été malhonnête…
Dix ans après Dans la peau de John Malkovich, son premier film, Max et les maximonstres est le long métrage le plus personnel de Spike Jonze. Le premier en tout cas où il retrouve la grâce enfantine qui caractérise ses plus beaux clips, lui qui fut, du milieu des années 1990 à celui des années 2000, l’un des plus brillants représentants de cet art longtemps minoré. A revoir aujourd’hui ses vidéos et à les comparer à celles de ses deux éminents collègues – Chris Cunningham et Michel Gondry qui eurent droit, eux aussi à une “pléiadisation” de leur œuvre en édition DVD –, on réalise à quel point sa singularité ne peut s’exprimer qu’à travers l’improvisation contrôlée, la simplicité a posteriori des effets, et une certaine idiotie, au sens noble du terme. Une idiotie sunshine serions-nous tentés de dire.
Chez Cunningham, le cerveau est peuplé de visions cauchemardesques (Come to Daddy d’Aphex Twin), le corps est empêché (Only You de Portishead), torturé, et lorsqu’enfin il semble délié, c’est qu’il n’est plus humain (All Is Full of Love de Björk). Chez Gondry, le cerveau prend le contrôle du monde par le biais du rêve (Eternal Sunshine of the Spotless Mind), mais lui impose sa rigueur géométrique (Around the World des Daft Punk), métronomique (Let Forever Be des Chemical Brothers), démultipliante (Come into My World pour Kylie Minogue). Spike Jonze semble plus bordélique, moins rigoureux. Il n’a pas le culte des belles images et du chiadé comme Cunningham et Gondry.
Ce qui fait rouler le fan de BMX (milieu dans lequel il a fait ses armes comme photographe) et de skate-board (où il a fait ses premières vidéos, la plupart révolutionnaires à l’échelle du genre), c’est bien plus le plaisir de l’instant, le shoot d’adrénaline, l’excitation de tenter un truc impossible. Tant mieux si ça marche. “Just having fun” disent les skateurs, “Do it yourself” affirment les punks : la voilà l’équation magique de Spike Jonze, lui qui fut le producteur du programme MTV Jackass et excelle à dégager de la grâce des mésaventures et accidents que subissent les corps. Un homme courant en flammes dans les rues de L.A. (Southern California, Wax), une gymnaste (Sofia Coppola, alors son épouse) remportant avec brio une compétition malgré sa blessure (The Chemical Brothers, Elektrobank), Christopher Walken s’envolant au terme d’une danse fabuleuse (Weapon of Choice, Fatboy Slim), Björk comme projetée au milieu d’une chorégraphie de Busby Berkeley dans une station-service (It’s Oh So Quiet) : chez Jonze, le corps exulte, brille, jubile, plie le monde à sa volonté. Toujours au ralenti.
Pourtant, dans un de ses récents clips pour Kanye West (Flashing Lights, en 2008, le premier clip qu’il tourne depuis 2005), on perçoit une inflexion stylistique. La grâce et le ralenti sont là, mais on ne reconnaît plus l’univers, assez sombre, squelette de film noir, en trois plans, où une playmate brûle ses fringues et massacre un type dans un coffre de voiture à coups de pelle. “ça tient au fait que Kanye a coréalisé le clip et y a emmené ses obsessions. Depuis, on a eu envie de refaire un truc moins classique : ça a donné le court métrage We Were Once a Fairytale où il accouche d’une souris. Kanye accepte tout sans broncher. Je l’adore.”
Lorsqu’il nous raccompagne à la porte, son pantalon laisse apparaître des shoes de skateur. Tant qu’il sera capable d’arborer cette insouciance adolescente sur lui et dans ses films, il n’y aura pas lieu de s’inquiéter de costumes trop chic.
Max et les maximonstres de Spike Jonze (E.-U., 2009, 1 h 40), en salle le 16 décembre