La franchise avant-gardiste est de retour dans une suite qui applique sans idée nouvelle les codes de la nouvelle ère esthétique qu’elle a initiée, mais surchauffe à vide.
Il n’est pas exagéré de dire que Spider-Man: New Generation, plus connu sous son titre original Into the Spider-Verse, a initié il y a cinq ans une révolution pour l’animation mondiale. Objet dès sa sortie d’un plébiscite unanime rassemblant la presse (97 % sur Rotten Tomatoes), la profession (un Oscar du meilleur film d’animation gagné au nez et à la barbe de deux candidats Disney) et le public (400 millions de dollars de recettes mondiales), le film a surtout depuis constitué un canon esthétique pléthoriquement imité, que ce soit dans les productions suivantes chez Sony Animation (Les Mitchell contre les machines) ou dans celles de la concurrence (Dreamworks qui assume ouvertement avoir calqué dessus Le Chat potté 2).
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Top of the pop
À la façon dont Pixar avait au début des années 2000 posé un jalon tel que toute la concurrence se vautrait dans la copie (dont déjà Dreamworks, qui sortait Gang de requins un an après Le Monde de Nemo), voilà donc que tout le monde veut aujourd’hui faire du Spiderverse. C’est-à-dire un cinéma d’animation de son époque : outrageusement pop, laissant libre cours à son insatiable soif d’hybridité formelle dans un monde saturé de textures, à la lisière du dessin et de l’image de synthèse, inspiré par la BD, le manga, le jeu vidéo, électrisé par des effets de montages subliminaux, distordu par des jeux d’accélération et de dilatation, renversé dans tous les axes.
Ironie de l’histoire : au moment où elle sert de modèle à toute la profession, la recette fait déjà l’effet d’une barquette stylistique surgelée au sein de sa franchise mère. Car si la formule sidérait dans Into the Spider-Verse, la voilà étrangement dévitalisée dans sa suite Across… (avant un Beyond… prévu pour 2024). La recette est là à l’identique, mais quelque chose de froidement mécanique se dégage de sa mise en application. Ce qui était hier une transfiguration de la forme relève plutôt du simple filtre : la trame de points façon papier BD, les petites aberrations chromatiques comme les légers liserés fluo d’une VHS abîmée semblent bêtement apposés. La série s’accroche à ses gimmicks visuels, avec une certaine paresse créative (l’inversion verticale, on a compris).
Un grand méchant sauve la mise
Un sentiment de lassitude intensifié par un récit phagocyté par la mode scénaristique du multivers. Miles Morales est désormais libre de se déplacer à l’envi dans une prolifération archipélagique d’univers parallèles dont la coexistence est plus que jamais difficile à maintenir mentalement (en tout cas pour un spectateur de plus de 30 ans). Ses péripéties interchangeables, schrödingeriennes (tout le monde est plus ou moins mort et vivant à la fois, au prix d’un petit saut dans le trou de ver), disparaissent sitôt apparues et le film ne semble rien construire – si bien qu’on finit par s’étonner qu’il dure aussi longtemps et s’achève sur un cliffhanger (est-on vraiment censé retenir sa respiration alors qu’on baille depuis une heure ?).
Une seule chose à sauver : un méchant franchement génial, la Tache, à la fois dieu pluridimensionnel et comedy sidekick improbable, façon juif new-yorkais en déroute existentielle (un ancien scientifique doublé par Jason Schwartzman, prisonnier d’un corps sans visage évoquant un test géant de Rorschach et de pouvoirs qu’il utilise maladroitement). C’est parce qu’on le voit justement trop peu qu’on daignera bien aller voir la conclusion de la trilogie.
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