Présenté à la dernière Mostra de Venise, le biopic de Pablo Larraín sur la princesse de Galles sort sur Prime Video ce 17 janvier.
La vision de Spencer de Pablo Larraín restera une expérience paradoxale. D’un côté, tout ce qui doit être dit du mythe de Lady Di y est rappelé et respecté à la lettre : son apparence lumineuse et son revers obscur ; son épouvantable claustration dans une bâtisse royale pendant les fêtes de noël 1991 ; son statut de victime sacrificielle qui aura servi à resserrer les liens d’un clan familial où elle faisait, malgré ses origines aristocrates, figure de roturière.
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Rien n’est tu de son chemin de croix : ni l’infidélité de Charles, ni son anorexie, documentée ici sous la forme de séquences alternant boulimie et nausées, seules scènes d’action de ces trois jours que survole Spencer – un procédé narratif déjà éprouvé avec Jackie, qui prend le risque, par sa forme ultra-dilatée, de se voir constamment miner par une forme de vacuité et d’ennui.
Conte de fée ?
Le point de vue de Spencer est indiscutable : c’est celui de Diana, la sacrifiée. L’incomprise, la femme libre. Il n’y a qu’à voir la manière dont Larraín filme son arrivée au Palais à reculons, telle une condamnée en permission dans sa Porsche qui rejoint, la mort dans l’âme, sa prison. Cette demeure dans le Norfolk est d’ailleurs filmée comme l’hôtel de Shining. C’est sciemment que le réalisateur chilien adopte tous les codes du film d’horreur pour nous en dévoiler les lugubres largeurs. Il est sûr ainsi de bien se faire comprendre : Lady Diana se meut dans une maison hantée, sa vie est un cauchemar aux faux airs de conte de fée.
Toutes les intentions sont là, très voyantes. Pourtant le film semble soumis, en lui-même, à des courants contraires. Derrière le parcours fléché du scénario (comme cette métaphore filée comparant Diana aux faisans qu’on abat à coups de fusil lors d’une partie de chasse), se déchaîne une autre ligne de force qui gâte toutes ces (bonnes) résolutions initiales. Pablo Larraín n’aime pas Diana. Il la méprise. Et s’il s’y intéresse en tant que cinéaste, ce n’est qu’en vertu de ce qu’il reste à faire fructifier de son mythe, à capter de sa lumière, à exploiter de son aura par sa mise en scène toute en enluminures.
Spencer fabrique une prison à l’intérieur de la première : c’est un gros plan qui croit magnifier un visage en épousant sa subjectivité, mais le prend en étau et l’enferme. C’est un défilé de robes-camisoles pour Diana, mais qui, portées par Kristen Stewart, s’exposent en un étalage de parures bling, doublé d’un emballage publicitaire – les danses de la fin. C’est, enfin, un enchaînement de mouvements de caméra emphatiques qui surplombe plutôt qu’il ne recueille un état et une détresse, dominent un modèle au lieu de lui tendre la main.
Musée de cire
Avec une mise en scène à ce point boursouflée, Diana ne pouvait guère nous être sympathique. Le charme tendre et renversant du modèle réel ne prend jamais vie. À l’inverse, le jeu affecté de Kirsten Stewart, que le biopic pousse à l’overacting, façonne une héroïne à la beauté glacée, torturée et revêche. Si seulement Larraín avait su filmer ses défauts : son narcissisme, par exemple. Mais même là, il se plante en faisant d’elle une pauvresse qui se liquéfie devant les paparazzi. Les séquences figurant la famille royale ne sont pas plus convaincantes. Larraín réduit ce monde complexe à un musée de statues de cires, qui élude toute complexité derrière des masques théâtraux, exagérément hideux et caricaturaux. Il va chercher un majordome avec une fente labio-palatine, en imaginant que cela suffira à créer l’épouvante. Le personnage d’Élisabeth II, quant à elle, est expédiée à travers une vanne cinglante, suggérant que Diana serait une “monnaie d’échange”.
Spencer aurait pu être un film sur la folie de l’apparat et des apparences. Mais il se noie lui-même dedans. C’est la seule chose qui travaille ces images captives de leur propre reflet. Si bien qu’il semble difficile d’avaler le message que nous délivre une scène finale : rien de mieux que quelques chicken wings du KFC, dégustée incognito sur un banc public avec Will et Harry, pour se sentir libre et vivante… Sans même parler d’indécence, on peut simplement se dire, à ce moment-là, que Diana méritait mieux que ce déplaisant portrait tape-à-l’œil. À cet égard, il faudra revenir à la saison 3 de The Crown, chronique coriace et sensible de la princesse de Galles embrigadée dans un mariage tragiquement malheureux.
Spencer de Pablo Larraín, sur Prime Vidéo à partir du 17 janvier 2022
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