Cheaters never prosper” : les tricheurs ne l’emportent jamais. C’est par ce message, inscrit en toutes lettres sur l’écran, que se termine Speed Racer, le dernier film des Wachowski. Drôle d’injonction lorsqu’on sait à quel point les frères (ou plutôt, désormais, le frère et la sœur) sont passés maîtres dans l’art de la duperie, professant […]
Cheaters never prosper” : les tricheurs ne l’emportent jamais. C’est par ce message, inscrit en toutes lettres sur l’écran, que se termine Speed Racer, le dernier film des Wachowski. Drôle d’injonction lorsqu’on sait à quel point les frères (ou plutôt, désormais, le frère et la sœur) sont passés maîtres dans l’art de la duperie, professant rouge à qui veut l’entendre (rebellez-vous !), suggérant noir aux yeux les plus attentifs (révolte annulée par le reload dans Matrix Revolutions, ramenée à un spectacle théâtral dans V pour Vendetta). La doxa wachoskienne consiste en effet à substituer aux idéologies révolutionnaires classiques (lutte frontale, classe contre classe) un autre modèle, protéiforme, individualiste, revêtant les habits de l’ennemi pour mieux les pervertir : to kick the machine, be the machine. Speed Racer affirme ainsi à chaque instant le contraire de sa maxime finale (théoriquement adressée aux enfants), prônant un usage immodéré de la tricherie (individuelle) afin de lutter contre la tricherie (systémique). Ce ne sont pas seulement les capitalistes véreux qui dupent leur monde, mais aussi les “bons” : le cadet de la famille Racer qui se cache dans les coffres des voitures ; l’ainé, Speed, qui utilise des armes interdites pour se protéger durant les courses ; sa petite amie, la bien nommée Trixie (trick veut dire tricher en anglais), qui se fait passer pour un coureur (masculin qui plus est) ; Racer X, enfin, personnage sexuellement ambivalent avec sa combinaison de cuir moulant, qui a fait du masque et du secret sa signature.
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Alors que cette idée passait auparavant chez eux par une forme certes inventive mais fédératrice, ils font cette fois un pas de plus vers le cinéma expérimental, au risque – avéré – de perdre leur public. Film mutant, manifeste transgenre, vaste trompe-l’œil, Speed Racer radicalise le cinéma des Wachowski en étendant l’empire du faux à chacun de ses rouages, à commencer par les repères spatio-temporels. Dans sa recherche de vitesse absolue (sans sacrifier la lisibilité des actions) et dans son refus de la coupe franche au profit d’un montage-palimpseste, où chaque plan s’écrit sur le précédent tel un lavis de couleurs, le film laisse l’impression d’être un plan-séquence ininterrompu d’une heure et demie. Passé et futur sont abolis, ramenés à un présent perpétuel (les flash-backs et flash-forwards sont intégrés à la narration sans aucune transition), qui glisse sur une pure surface, sans aucune profondeur.
Les humains ne sont finalement plus qu’images parmi d’autres, résidus de réel dans un monde totalement factice. Factice et pourtant chargé de sentiments : les Wachowski ne sacrifient pas les enjeux dramatiques sur l’autel du dispositif et gardent intacte leur capacité, enfantine, à émouvoir – bouleversante révélation finale. C’est bien là toute leur grandeur.
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