Après trois longues années d’attente, la saison 2 des “Revenants“ est enfin prévue pour l’automne. Reportage sur les lieux d’une résurrection annoncée.
Mars 2015. Sixième mois de tournage des Revenants. Il est plus de 23 heures mais Fabrice Gobert prend tout de même le temps de venir nous parler. Ses yeux clairs grands ouverts, il lâche bientôt : “C’est dommage.” Il parle du passage du temps, qu’il regrette comme nous, même un peu plus que nous.
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De ces trois années qui ont fusé comme un éclair entre la première saison de sa série, diffusée en 2012, et la nouvelle, prévue à l’automne. Si tout va bien. Un temps infiniment long pour façonner huit épisodes, d’autant que les attentes suscitées par la création télévisuelle française la plus désirable de ces quarante dernières années sont exceptionnelles.
Des “Revenants“ qui auraient pu ne jamais revenir
Les Revenants ont connu un succès critique, public et commercial, récompensé par d’innombrables ventes à l’étranger et même un remake américain. Tout cela par la grâce d’un univers à la fois accrocheur (le retour des morts dans une petite ville de montagne) et volontairement mélancolique (pas de zombies outranciers, mais des enjeux intimes et réalistes liés au deuil), d’après le film de Robin Campillo sorti en 2004.
Il y a un an et demi, ces fantômes si familiers auraient pu disparaître sans jamais revenir. Alors que Fabrice Gobert a annoncé le tournage des nouveaux épisodes pour mars 2014, il change d’avis à quelques semaines de l’échéance et envoie un mail aux comédiens et à l’équipe expliquant qu’il n’est pas satisfait de ce qu’il a écrit et qu’il repousse:
“Nous étions lancés dans une course folle mais il fallait s’arrêter, reprendre notre souffle”
Cette explication nous est donné par Caroline Benjo, de Haut et court, qui produit la série avec Jimmy Desmarais et soutient alors cette décision radicale. D’Anne Consigny à Frédéric Pierrot, de Clotilde Hesme à Ana Girardot, les comédiens ont bloqué leurs dates.
“La question du planning a été un casse-tête”, concède Benjo. Mais cette pause forcée (qui durera dix mois) est nécessaire. Car depuis un an et des poussières – le travail a repris juste après la diffusion de la première saison –, les échanges entre Canal+ et les scénaristes butent sur une question essentielle : celle de la bascule.
Le difficile passage en deuxième année
Où reprendre l’action ? Comment créer à nouveau la surprise ? Ce problème, commun à de nombreuses séries qui entrent en deuxième année après avoir marqué les esprits, se révèle particulièrement coriace. L’épisode final de la première salve a laissé des traces.
On y voyait notamment les revenants récupérer certains des leurs, dans un refuge où s’entassait la population de la ville. Bardée de mystères, cette conclusion en léger décalage avec le ton général de la série avait produit illico des mécontents sur les réseaux.
Une version made in France de l’hystérie autour des séries qui ne tiennent pas toutes leurs promesses ou n’offrent pas les réponses réclamées par les fans – les scénaristes de Lost et How I Met Your Mother s’en souviendront toute leur vie.
Une enquête de satisfaction menée par Canal+ confirme la tendance. Fabrice Gobert est bien obligé d’en tenir compte. “D’autres se sont inquiétés pour moi du manque de réponses, admet le patron de la série. Ce n’est pas créatif en soi de se dire que le spectateur attend des résolutions. En revanche, on peut imaginer des histoires qui tiennent compte de ce sentiment…”
Plusieurs scénarios possibles
Très vite, Gobert se persuade qu’une ellipse est nécessaire. Reprendre l’intrigue là où elle a été laissée n’est pas une bonne idée. Mais il ne parvient pas à savoir exactement comment, cherche la bonne formule d’écriture. La chaîne a du mal à être convaincue et plusieurs scénarios sont alors rédigés dans une autre direction. Ceux-là mêmes qui seront remis en cause à l’aube du premier tournage prévu…
Dans la saison inédite des Revenants, dont nous avons pu voir les deux premiers épisodes, l’action reprend finalement six mois plus tard. “Je trouve intéressant un démarrage a posteriori, car les personnages ont dépassé leur état de choc et se demandent, un peu comme le spectateur, si tout cela est bien arrivé, s’ils n’ont pas rêvé cette chose incroyable, avance Gobert.
« Je voulais les imaginer en position de se débattre pour comprendre, bref, les placer davantage dans l’initiative.Pour moi, nous entamons un nouveau chapitre davantage qu’une saison 2. J’ai pensé aux films comme Scream 2 ou Terminator 2 : j’aime quand ceux que j’avais connus frais et angéliques sont devenus beaucoup plus guerriers, grâce à l’expérience engrangée.”
Dès les premières minutes de cette nouvelle saison, l’effet recherché s’incarne. Le temps passé offre aux personnages qui errent dans une ville maintenant désolée – et bouclée par l’armée – une épaisseur nouvelle. La noirceur s’avère encore plus forte. Un retour sur les origines de certains y contribue, via des flash-backs élaborés avec l’écrivain Emmanuel Carrère, déjà présent sur les premiers épisodes de la saison 1 et qui n’est intervenu pour cette nouvelle saison que sur ces séquences dans le passé.
Deux nouveaux acteurs : Aurélien Recoing et Laurent Lucas
Sur le plateau installé à la Main tendue, près d’Annecy – qui était déjà le décor de la fin de la première saison –, la question de la transition ne se pose plus. En cette toute fin d’hiver, le tournage du huitième et dernier épisode est bientôt terminé.
Le jeune Victor a beaucoup changé mais son regard reste intact, c’est-à-dire intense. Deux acteurs nouveaux, Aurélien Recoing et Laurent Lucas, se partagent une scène tout en chuchotements, résultat émouvant de lentes retrouvailles que nous n’avons pas vues.
Dans une séquence tournée un peu plus tôt, le premier – il interprète un revenant, car une deuxième vague de retours a lieu – prononçait un dialogue touchant à l’essence même de la série : “Nous sommes comme vous voulez nous voir.” Beau programme.
L’influence de Bill Viola et Gustave Doré
Entre les prises, le duo Fabrice Gobert-Patrick Blossier (le chef opérateur) s’affaire sans effusion. Le vidéaste Bill Viola et certaines gravures de Gustave Doré comptent désormais parmi leurs influences picturales majeures. L’atmosphère n’est pas du tout celle d’un navire sauvé de la catastrophe.
“Avec nous, Fabrice Gobert manœuvre au plus près, note Aurélien Recoing, grand acteur de théâtre vu entre autres chez Garrel, Cantet, Kechiche. C’est proche d’un plateau de cinéma : on prend le temps de faire les choses comme elles doivent l’être. Mais en même temps, c’est absolument une série, avec ce que je ressens comme une très forte envie de renouveler la fiction française.” Céline Sallette confirme:
“C’est un artisanat familial. Je suis trop bien ici. J’ai l’impression de m’amuser en dehors de l’industrie, qu’on nous a offert un espace de liberté.”
Sobrement, Laurent Lucas affirme n’avoir “jamais vu une telle implication collective lors d’un tournage”, avant que Constance Dollé ne trouve la formule : “Ici, on n’a pas l’imaginaire obstrué : les morts reviennent avec leur visage d’avant, un petit garçon peut jouer le père d’un homme de 60 ans… Il y a un décalage rare pour des comédiens.”
Si le travail semble fluide, c’est peut-être parce que Fabrice Gobert a trouvé une configuration intéressante en coulisses. En tant que showrunner, il a dû apprendre à déléguer. Cette saison, le néoquadra s’est entouré à l’écriture d’une vraie numéro 2, Audrey Fouché, formée par le créateur d’Oz Tom Fontana et présente tout au long du tournage.
« J’ai l’impression que tout le monde est heureux du résultat »
Côté réalisation, il a fait appel à son ancien assistant, Frédéric Goupil, afin de codiriger l’ensemble des épisodes. L’idée ? Que deux parmi les trois soient en permanence sur le plateau.
« Quand je suis occupé à écrire ou repérer un décor, Audrey et Frédéric peuvent répondre aussi bien que moi aux questions… Lors de la première saison, quand je m’absentais, cela posait problème. Au bout du compte, j’ai l’impression que tout le monde est heureux du résultat, même si ça n’a pas été simple. Je le dis humblement, j’apprends toujours à faire une série.”
Le but reste le même pour celui qui a réalisé un long en 2010, Simon Werner a disparu…, et se trouve aujourd’hui bien loin du cinéma : “Je ne perds jamais de vue mon idée centrale, j’essaie d’être tout le temps à l’intérieur de la tête des personnages.” Bientôt, ce sont eux qui entreront dans la nôtre. Et on ne l’aura pas volé.
Les Revenants saison 2, en septembre sur Canal+
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