Issu du cinéma indépendant, le producteur anglais de “True Detective” Richard Brown a accepté de revenir sur la genèse de la série, son influence, ses coulisses et sa deuxième saison.
True Detective a eu un succès fulgurant à son arrivée en 2014. De quoi la série a-t-elle profité et qu’a-t-elle changé ?
Richard Brown – Je pense que le succès de True Detective a ouvert un nouvel espace pour la série d’auteur. Cet espace existait déjà, mais tout a changé très rapidement ces dernières années. L’arrivée de Netflix dans la bataille des programmes de qualité a radicalement transformé l’industrie des séries aux Etats-Unis et ailleurs. Avant, HBO était le parangon. La chaîne a été responsable d’un nouvel âge d’or qui a commencé avec Les Soprano, Deadwood et The Wire et a duré environ une décennie.
Jusqu’aux années 2000, on regardait la télé sur les grandes chaînes, avec les publicités. La distinction de HBO a été de reposer sur les abonnements. Puis la pub n’a plus eu la moindre importance. David Simon, qui a créé The Wire, m’a dit un jour que cette distinction changeait tout. HBO a su se donner une identité et faire confiance à des auteurs. C’est rare. Au cinéma, plus personne ne va voir un film parce qu’il a été produit par Sony, Universal ou Warner Brothers.
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HBO a été beaucoup copiée.
C’est vrai. Mais il restait du chemin à parcourir. Dans le modèle HBO, la télévision était faite avant tout pour donner du pouvoir aux scénaristes, le réalisateur étant généralement un technicien. Il y avait des raisons objectives, notamment liées à la vitesse. Et aussi parce que les scénaristes avaient besoin d’une revanche ! Mais peu à peu, le métier de scénariste a changé avec l’apparition des showrunners, qui sont aussi producteurs et prennent toutes les décisions importantes, parfois au détriment du réalisateur. D’un certain point de vue, c’est cohérent et intéressant, mais cela révèle aussi un manque : la mise en scène. A la télévision, les acteurs sont en général super, les scénarios aussi, mais il y a très peu de cinéma.
Avec True Detective, vous avez voulu ramener du cinéma à la télévision ?
La naissance de True Detective a vraiment été consécutive à ma réflexion sur cette question. A cette époque, Netflix venait de faire confiance à David Fincher. Le timing était parfait. Avant House of Cards, la question du pilote restait centrale : la promesse d’un premier épisode était ce qu’on pouvait espérer de mieux d’un rendez-vous avec une chaîne. Mais Netflix a commandé directement deux saisons à David Fincher. C’était un geste fou. Tout a explosé. Nous avons choisi de présenter à HBO un package qui potentiellement provoquerait un engagement direct pour une saison entière.
True Detective était structurée selon la logique d’un récit bouclé, que l’on peut comparer au modèle narratif d’un roman, avec des chapitres en lieu et place des épisodes. Pour cela, il nous fallait une seule personne aux commandes de l’écriture mais aussi une seule personne pour réaliser – sur ce point, j’avais le modèle de David Lynch sur Twin Peaks en tête. J’ai déniché Nic Pizzolatto, qui avait écrit un roman, Galveston, avec des dialogues géniaux et un ton fort, musclé. Il avait la vision d’une série de huit heures entre cinéma et télévision.
Puis nous avons choisi un réalisateur, Cary Fukunaga. Son arrivée a ouvert de nouvelles possibilités par rapport aux acteurs. Matthew McConaughey n’avait pas envie de faire une série mais il voulait travailler avec Cary Fukunaga. Et il savait que ce ne serait que pour huit épisodes.
Nous avons d’abord proposé à Matthew le rôle finalement tenu par Woody Harrelson – et d’ailleurs, c’est lui qui a fait appel à son pote ensuite. A l’époque, nous n’imaginions pas qu’au moment de la diffusion, McConaughey serait la star de cinéma numéro 1 en Amérique ! C’est après avoir vu un premier montage de Killer Joe, le film de William Friedkin, que nous avons été convaincus qu’il était la bonne personne.
Auprès de HBO, vous étiez en position de force.
Face à eux, nous n’avions pas une idée de série, mais une série clés en mains. La différence est énorme. D’autres chaînes se sont positionnées. Nous avons choisi HBO qui nous donnait une grande liberté de création. Le tournage de la première saison a duré neuf mois et demi, ce qui est assez long pour une série…
Nous voulions nous éloigner de la télévision traditionnelle et cela a fonctionné : True Detective a eu le succès que vous savez. Tout le monde a compris qu’il n’y avait plus de règles et qu’il existait une flopée de chaînes, plus d’une quarantaine, prêtes à faire ce qu’on appelait de la “télévision” mais qui devraient peut-être se trouver un autre nom.
Aujourd’hui il n’y a plus une star de cinéma ou un réalisateur à Hollywood qui ne veuille appartenir à ce monde. Parfois, c’est presque trop. Les grandes séries des années 2000 comme Mad Men ne reposaient pas sur des stars et nous les avons aussi appréciées pour ça. Reste que le contenu épisodique au long cours est une terre à défricher : ce n’est ni de la télé traditionnelle, ni exactement du cinéma. Ces objets narratifs et visuels peuvent être structurés selon notre désir, sans limites ou presque.
Pour la deuxième saison de True Detective, il y a eu quelques changements : Cary Fukunaga, qui ne s’est pas entendu avec Nic Pizzolatto, a laissé sa place à plusieurs réalisateurs. Vous êtes revenus à un modèle plus classique ?
Les problèmes entre Cary et Nic étaient liés au fait qu’ils espéraient tous les deux diriger la série. Deux capitaines pour un seul bateau, c’est compliqué. De manière justifiée, Nic a eu la main sur la série et a voulu trouver une autre méthode pour la deuxième saison. Au regard de cette expérience, il avait envie de faire de la télévision un peu plus traditionnelle. C’est son choix, pour le meilleur et pour le pire. Nic Pizzolatto a voulu revenir au modèle plus classique du showrunner et je trouve que le résultat est bon. Il a fait un excellent travail.
L’alignement de stars (Colin Farrell, Vince Vaughn, Rachel McAdams, Taylor Kitsch) est impressionnant.
Beaucoup d’actrices et d’acteurs voulaient participer à la saison 2 de True Detective après la réussite de la première. Disons que cette fois, les gens nous ont appelés… Le truc étrange, c’est qu’il ne devait pas forcément y avoir de deuxième saison !
La suite de True Detective n’était pas prévue ?
Au fond de nos têtes, il y avait l’idée que True Detective puisse devenir une série anthologique. Nic en avait parlé avec HBO. Mais la vérité, c’est qu’elle a été créée comme un bloc de huit heures avec une fin. Ensuite, la série est devenue un phénomène culturel. La question est devenue : comment en faire plus ? Aucun de nous ne savait vraiment comment s’y prendre car c’était nouveau. Il fallait saisir au corps cette idée et tout le crédit va à Nic Pizzolatto. Chacun a son opinion sur lui mais il a beaucoup de talent.
Cette saison, les audiences de la série augmentent alors que les critiques font parfois la fine bouche. Comment voyez-vous ce paradoxe ?
Les audiences veulent-elles encore dire quelque chose ? Voilà une autre brèche ouverte par Netflix. Historiquement, les audiences ont été créées pour vendre de la pub. Sur le câble, elles avaient déjà moins de sens. Mais à partir du moment où un modèle repose sur le streaming, à quoi riment les chiffres ? Netflix ne les communique pas et c’est logique. Tout ce qui les intéresse, c’est d’augmenter leurs abonnements. Par ailleurs, notre culture est polluée par les chiffres, comme si la qualité dépendait de l’audience. Même les spectateurs pensent cela, parfois. C’est assez normal que la saison 2 de True Detective provoque la curiosité. Mais nous ne saurons qu’à la fin de la diffusion s’il y a eu une augmentation. Quant à la presse, un changement d’angle était inévitable. Les critiques avaient adoré la première saison. Nous avons tout changé, avec de nouveaux personnages et un nouveau décor, l’effet de surprise est moindre. La pression sur Nic a été extrême. La spontanéité ne fait plus partie du paysage. True Detective est devenue un nouvel animal.
Comment voyez-vous le paysage télé/streaming dans les années qui viennent ?
La nouveauté, c’est vraiment le rapprochement entre série et cinéma. Nous avons ouvert des portes. Steven Soderbergh aussi, qui réalise et monte tous les épisodes de The Knick. Les cinéastes se penchent en nombre sur des projets limités dans le temps. Paolo Sorrentino va réaliser The Young Pope avec Jude Law, nous sommes en discussion avec Jacques Audiard à propos d’une série, Paul Greengrass s’apprête à en faire une, Alejandro González Iñárritu… Certaines histoires méritent d’être racontées sur six ou huit heures, et s’ils peuvent être l’auteur du projet, au sens historique du terme, les cinéastes accourent… Nous entamons une ère hybride. La force d’attraction de ce modèle est incroyable.”
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