A l’occasion des Inrocks spécial Bretagne en kiosques à partir du 8/12, le réalisateur du récent « Homme au bain » déroule le film de sa jeunesse rennaise.
Dans les rues de Rennes, je n’ai plus traîné les pieds depuis des années. Je ne saurais même pas où aller boire un verre tranquille, le dernier bar que j’aimais ayant fermé depuis longtemps. Seule la nostalgie peut me guider, si j’essaie de parler de cette ville.
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C’est toujours ennuyeux pour les autres, la nostalgie. Mais si vous insistez, je peux vous dire que, oui, il y a vingt ans, nous étions une bande dont chacun pouvait prétendre à la fonction de prince de la ville. La jeunesse a des titres qu’elle ne songe pas à réclamer. Rue Victor-Hugo, il y avait Gwen, on se prenait en photo dans les chantiers la nuit, l’après-midi on enchaînait les ruptures dans les allées du Thabor. Pierre était à Saint-Mélaine, les bons sandwichs rue Hoche, il me donnait des nouvelles de Villejean et m’attendait chaque soir pour l’apéro. C’était rue Saint-Malo, c’était l’Ozone, puis une fois soûls, le Trap de l’autre côté de la rue.
A une heure du matin, la cloche nous poussait au grand exil vers la place des Lices, le Cactus. Mais la vraie soirée entre nous était déjà terminée, débutaient des trajets plus solitaires qui nous menaient dans des lits inconnus.
Nadine habitait quai de la Prévalaye, je me souviens de son sourire tenace le soir où après m’avoir enfermé chez elle, elle avait balancé ses clefs par la fenêtre. Fabrice, je ne sais plus où il habitait, nous n’allions jamais chez lui… Combien d’alcool avalé devant son regard amusé en inventant nos vies ? Bernard, aux tours Horizon, Frédéric, rue du Chapitre. Et Stéphane, son studio de rez-dechaussée au bout de la rue Dupont-des-Loges. Nous nous étions rencontrés au printemps, entre les WC de la rue Toullier et ceux de la salle omnisport, il portait un bermuda, et sa blondeur était sucrée.
Qu’avons-nous fait tout ce temps à part boire avec discipline, nous être offerts avec curiosité ? On lisait, je crois, on achetait des disques à Rennes Musique. Les concerts à l’Ubu, le chanteur des La’s qui vide mon verre de bière à sa sortie de scène, le gobelet en plastique conservé depuis. Un soir de neige, Sugarcubes, un autre, Nirvana, un autre à écouter sur une cassette, dérobée à un serveur de l’Ozone, la maquette d’un groupe qui n’avait pas encore sorti d’album, La Mano Negra. Et Les Nus et Dominic Sonic, qui étaient chacun leur tour les invités surprise des Trans Musicales. Avons-nous dansé sur autre chose que les Happy Mondays ?
L’hiver encore, place de la Mairie, contre la guerre en Irak, on lisait La Grosse Bertha. Au Grand Huit, rétrospectives Fassbinder, Bergman, Truffaut… Quelques années avant nous, un cinéaste d’ici avait sorti un film, Philippe Alard, Villa Beausoleil. Ça me donnait de l’espoir quand je filmais nos 20 ans en super-8 dans les rues de Rennes.
Christophe Honoré
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