Le cinéma comme art de la bricole : Michel Gondry ici à son meilleur.
C’est l’histoire de deux copains un peu losers, Jerry et Mike (Jack Black et Mos Def), qui traînent souvent chez Mr Fletcher (Danny Glover), le patron du vidéoclub d’un quartier de banlieue où le pianiste de jazz Fats Waller serait né. Suite à un accident, toutes les VHS sont démagnétisées. Les deux compères ont une folle idée : retourner les blockbusters effacés avec les moyens du bord… Contre toute attente, ces remakes improvisés vont bientôt connaître un succès inespéré.
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Des quatre longs métrages réalisés par Michel Gondry (Human Nature, Eternal Sunshine… et La Science des rêves), Be Kind Rewind (le titre français est vraiment laid) est le plus achevé. C’est d’abord un plaidoyer pro domo pour le cinéma comme art du bricolage, dont Méliès serait le père fondateur et Gondry l’un des descendants. Les moyens dont il dispose ont beau être devenus assez conséquents, l’esprit de bricolage entre potes persiste. Or jusqu’à présent, ce côté bricolage était l’une des limites du cinéma de Gondry, un cinéma de petit garçon qui joue avec ses soldats dans sa chambre. Avec Be Kind Rewind, Gondry semble avoir ouvert une porte. Il fait entrer dans son jeu le reste du monde : plein de personnages (dont ces freaks à la Farrelly) et d’histoires. L’âge adulte est venu, celui où l’on comprend qu’on s’inscrit dans une histoire, où l’on trouve sa place dans la généalogie des hommes.
Be Kind Rewind est un film qui fait l’éloge de cette filiation, qui met à égalité le passé, le présent et le futur, qui crie avec joie que le bon temps n’est pas passé, qu’il est là et à venir, que la copie peut valoir l’original, que le cinéma n’est pas mort. Le film ne cesse de travailler la figure du palimpseste, du remplacement d’une image ou d’un texte par un autre, des graffs sous le pont du métro recouverts peu à peu par d’autres, aux bandes vidéo qui s’effacent sur lesquelles on réenregistre les films – façon de montrer combien l’art peut vampiriser, habiter l’imaginaire des hommes au même titre que le réel.
Grâce notamment à Mia Farrow, on pense aussi à La Rose pourpre du Caire ou à Zelig de Woody Allen, deux films sur les intrications, les passages entre l’imaginaire et le réel, le cinéma et la vie. Chez Gondry, les deux personnages finiront, avec l’aide de tous les habitants du quartier, après avoir intégré les codes du cinéma hollywoodien, par tourner un film original, leur version à eux de la vie de Fats Waller… Chaque génération raconte à sa façon la vérité et la légende, dit le film, et c’est ce qui compte : pas tant la vérité, mais ce qu’on en perçoit, ce qu’on veut en dire, ce qui nous plaît en elle ici et maintenant.
Avec son final unanimiste et chaleureux à la Capra, Be Kind Rewind est aussi un film sur la communauté et la nation, sur la façon dont se forme la croyance collective en une fiction commune. Intelligent et rond, drôle et bouleversant, poétique et politique, Be Kind Rewind est une totale réussite.
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