Découverte d’un film rarissime sur le tournage du chef-d’œuvre à deux têtes Robbe-Grillet / Resnais. Un touchant témoignage.
Comme un revenant échappé du palace majestueux et lugubre de Marienbad, voilà que remonte à la surface un petit film d’archives, retrouvé très récemment par l’Institut Mémoires de l’édition contemporaine (Imec), filmé en noir et blanc en caméra super-huit par l’actrice Françoise Spira sur le tournage du célèbre film d’Alain Resnais L’Année dernière à Marienbad, Lion d’or 1961 à Venise, parfaite adaptation du ciné-roman préalablement rédigé par l’écrivain Alain Robbe-Grillet.
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Voilà qu’un film amateur, presque de famille, offre un contrechamp émouvant au chef-d’œuvre glacé de la Nouvelle Vague.
Car là où le film faisait déambuler tels des fantômes Delphine Seyrig et Giorgio Albertazzi dans les couloirs interminables d’un palace, parmi une galerie de clients figés dans des postures immobiles, ce document nous montre au contraire la vie ordinaire du tournage qui eut lieu au château de Schleissheim en Allemagne : les gestes des techniciens, les travellings et panoramiques, la fabrique du film, l’envers du décor.
Mais aussi une incroyable visite en groupe à Dachau : du camp de concentration où des milliers de Juifs furent éliminés par les nazis, ils ne ramèneront évidemment aucune image, aucune “Nuit et Brouillard”, se contentant de filmer avec stupeur une Oktoberfest traditionnelle dans ce petit village de Deutschland profonde, comme si rien n’avait jamais eu lieu.
De retour au château, on passe son temps à attendre, dans le froid, on voit l’ennui d’autant plus mortel des figurants qu’ils seront à l’écran immobiles et silencieux, inexistants. Comme si Resnais visait à la pétrification des vivants avant de mettre en marche sa caméra – une luxueuse Mitchell, à laquelle toute l’équipe prête une attention infinie, tant le film s’organise davantage d’après les mouvements de caméra que par les jeux des acteurs.
Seule émerge Delphine Seyrig, tout juste sortie de l’Actor’s Studio, vouée à incarner l’actrice expressive par excellence, mais qui deviendra l’icône froide et insondable d’un nouveau cinéma français.
Sur le tournage, elle est aussi l’objet d’un soin constant, chacun se relayant pour lui parler, comme pour la réanimer, histoire de ne pas la laisser se figer à son tour.
Cinquante ans après, le cinéaste Volker Schlöndorff, alors assistant de Resnais sur le tournage, a accepté d’ajouter en voix off un commentaire éclairant et ému.
C’est à travers ses yeux de jeune premier qu’il restitue l’impression d’avoir participé alors à une expérience esthétique radicale : “Nous avions la sensation de ne pas savoir où allait le film.”
Tous, à l’exception peut-être de Resnais lui-même, et de l’écrivain Robbe-Grillet, dont le ciné-roman avait décrit, et comme prévisualisé, tout le film à venir.
Souvenirs d’une année à Marienbad Projection unique le 1er mars à 20 h 15 au Jeu de Paume, Paris VIIIe, www.jeudepaume.org
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