Un souvenir. Los Angeles, 1988 ou 89, hôtel Beverly Hills, j’attends dans un salon en compagnie d’une demi-douzaine de consoeurs et confrères internationaux : des américains, des suédois, des finlandais… je suis le seul français. Nous attendons Peter Falk à l’occasion de son nouveau film, une comédie italo-américaine sans grand intérêt. Les participants à ce […]
Un souvenir. Los Angeles, 1988 ou 89, hôtel Beverly Hills, j’attends dans un salon en compagnie d’une demi-douzaine de consoeurs et confrères internationaux : des américains, des suédois, des finlandais… je suis le seul français.
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Nous attendons Peter Falk à l’occasion de son nouveau film, une comédie italo-américaine sans grand intérêt. Les participants à ce junket sont (presque) tous là pour un seul but : bavarder avec l’inspecteur Columbo. Ça y est, il arrive, sans son légendaire imper, on est à LA, soleil éternel et 30° de moyenne, mais avec son légendaire strabisme et sa voix enfumée. La conversation commence, on évacue poliment le film (« vous savez cuire les spaghettis ? » demande la consoeur suédoise), puis on passe un moment sur Columbo avec des questions de haut vol journalistique (« c’est quoi, votre voiture pourrie, inspecteur ? », ha ha ha !).
Bref, les propos échangés ronronnent comme la clim’ et ne dérangent pas plus l’ordre des choses. Avant de me mettre à ronfler d’ennui, je sors ma première cartouche : « hum, et John Cassavetes ?« . Les confrères écarquillent les yeux (« hein ? qui ça ?« ), alors que Peter Falk change d’expression, se concentre tout d’un coup, et se lance enfin dans une réponse de plus d’une phrase.
A vrai dire, il est intarrissable sur « John », et du coup, je ne lâche plus l’affaire et enchaîne les questions sur Husbands, Une Femme sous influence, Gena Rowlands, le cinéma indépendant, puis je passe à Wenders, Les Ailes du désir, le cinéma sans scénario pré-écrit, et Peter Falk est aussi loquace sur « Wim ». Le junket devient un entretien entre Peter Falk et moi et le résultat est imprimé quelque part dans un vieux numéro mensuel des Inrocks.
Cette anecdote authentique pour dire à quel point Peter Falk était identifié à Columbo, au point d’effacer tout le reste de sa carrière aux yeux de la plupart des journalistes ou de la majorité du public. Or, l’aventure artistique et humaine la plus importante pour Falk fut son compagnonnage avec la bande à Cassavetes (Gena, mais aussi Seymour Cassel, Ben Gazzara…), quand il réinventèrent collectivement et librement le cinéma américain dans les années cinquante.
L’expérience Wenders l’avait également marqué, avec l’idée d’improviser en partie un film, et de jouer avec sa propre image, sa propre célébrité. Rappeler cela n’empêche pas de dire aussi que Columbo fut une excellente série, basée sur la loi hitchcockienne du suspens : on connaît dès le début le coupable, la tension de chaque épisode résidant dans la manière dont l’inspecteur allait progresser jusqu’au dénouement, suivant un classique mélange de raisonnement, de ruse et d’heureux hasards, le tout épicé d’un ressort comique provenant de l’écart entre l’apparence de clodo ahuri de l’inspecteur et son génie d’enquêteur.
Lors de notre rencontre à « l’hôtel California », j’ai perçu le même genre d’écart chez Peter Falk : derrière les apparences Columbo (dont il était aussi très fier) existait un acteur passionné par des formes plus minoritaires, des aventures artistiques plus risquées.
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