L’aliénation des hommes et des femmes par le travail, et particulièrement l’autoentreprenariat, au cœur de ce nouveau brûlot anticapitaliste.
Ricky n’a plus de boulot, alors il décide de devenir chauffeur livreur à son compte, car les conditions financières actuelles font que sa famille ne pourra jamais acquérir leur petite maison de Newcastle. Abby, son épouse est “assistante de vie” pour les personnes âgées, et elle aime son métier, ne compte pas ses heures…
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Leur fils, Seb, ado à la belle voix grave, est passionné de graff, et évidemment en révolte contre des parents qu’il considère comme des ratés. Il commet de légers larcins, ne va plus en cours. Lisa Jane, leur fille, un peu plus jeune, tente d’aider tout le monde avec amour.
L’affection, c’est la seule chose qui les maintient ensemble, mais être chauffeur livreur va s’avérer plus difficile que ce que pensait Ricky. Quand les clients ne sont pas chez eux, on laisse un mot : “Sorry we missed you” (“Désolé, vous n’étiez pas là quand nous sommes passés”). Mais il faut ensuite repasser…
Avec Ken Loach, il n’y a jamais tromperie sur la marchandise : nous sommes là face à un cinéma social venu dénoncer le mirage de l’autoentreprenariat, qui détruit ceux qui se laissent séduire et attirer par son apparente liberté, sa souplesse, les possibilités de s’enrichir “rapidement”…
Et qui s’avère évidemment être un monde sans pitié, où plus aucune loi ne règne, où chacun joue pour soi pour survivre (c’est même ainsi que le patron du centre de livraison justifie son intransigeance et son absence de scrupules vis-à-vis de ses livreurs qui ne sont pas ses employés : si nous voulons survivre et rester les meilleurs, nous devons être sans faille), où feu les solidarités entre travailleurs n’ont plus de sens, où le temps de travail n’a plus de limite, empiète avec les conséquences que l’on connaît sur la vie des gens (avec possible destruction de la santé et de la cellule familiale), délire horaire qui aboutit à une disparition plus ou moins souhaitée des frontières entre la vie privée et la vie professionnelle.
Zombie Walk
“Tout cela, nous le savons”, direz-vous. “Alors pourquoi l’acceptons-nous sans broncher ?”, semble répondre le cinéaste britannique. Par peur de la pauvreté ? Certes. Mais il y a sans doute autre chose. Car Ken Loach ne fait pas que dénoncer d’une manière qu’on pourrait trouver manichéenne les abus du “nouveau monde”.
Contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, si Ken Loach n’enfonce jamais ses personnages, s’il manifeste beaucoup d’empathie à l’égard de ses héros prolétaires, il ne cache pas, pourvu qu’on y prête attention, qu’ils participent volontairement de ce système qui les détruit (en acceptant par exemple de reprendre la commande qu’un autre livreur a refusée). Qu’ils s’y soumettent, qu’ils s’en rendent esclaves au point de ne pas réussir à s’en retirer quand la souffrance qu’il génère est trop forte.
C’est ce que dit le film : l’incroyable asservissement des travailleurs, devenus incapables de s’échapper, de s’évader d’une vie de travail cauchemardesque, comme s’ils étaient, comme si nous étions tous des drogués, des zombies – décidément le grand mot de cette édition cannoise !
Sorry We Missed You de Ken Loach, avec Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone (GB, Belgique, France, 2019, 1 h 40)
Sélection officielle, en compétition, date de sortie inconnue
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