L’ascension sociale d’un télémarketeur comme métaphore du cauchemar capitaliste. Cinglant.
A quel moment, déjà, a-t-on commencé à trouver que les annonces des vrais journaux ressemblaient étrangement aux blagues du Gorafi ? Trump (ou Macron en France) a beaucoup contribué à cet état de fait, mais ne pourrait-on pas arguer que la frontière entre le réel et le canular, dans le monde économique, s’est brouillée il y a plus longtemps (se souvenir des Yes Men qui, fin des années 1990 début 2000, piégeaient les multinationales et l’OMC avec des propositions délirantes annoncées le plus sérieusement du monde), voire que cette séparation n’a jamais vraiment existé (la fameuse répétition de l’histoire sous forme de farce, chère à Marx) ?
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Sorry to Bother You, le premier film de Boots Riley, est une farce, mais c’est aussi l’un des films les plus réalistes jamais produits par Hollywood sur le fonctionnement du capitalisme. Il se déroule dans un monde que l’on croit d’abord être le nôtre, avant de glisser vers la dystopie, d’abord légère, comme un petit épaississement du trait, pour sauter finalement à pieds joints dans le cauchemar éveillé; mais un cauchemar dont on ne serait pas étonné d’apprendre qu’il est le rêve humide de certains, déjà consigné sur un « plan stratégique pour demain » dans un coffre à Davos.
Boots Riley, son réalisateur, y narre le parcours de Cassius Greene, misérable télémarketeur (joué par le superbement ahuri Lakeith Stanfield, aperçu dans Get out et Atlanta), qui monte en grade le jour où il comprend comment parler avec une « voix de Blanc », une voix qui le fait passer au téléphone, lui le mec noir toujours à la ramasse, pour le vendeur le plus convaincant du monde. Le voici ainsi prêt pour fourguer le produit phare, le caviar de sa boîte: de la main-d’oeuvre gratuite – c’est là le premier glissement -, docile et hyperproductive – c’est le second, bien twisté. Fort de son humour loufoque et de ses bricolages visuels, évoquant Michel Gondry ou Spike Jonze, Riley démonte parfaitement les rouages socio-économiques de l’exploitation, mais aussi culturels, puisque tout finit par pouvoir être récupéré. Y compris son film ? Éternelle, et sans doute indépassable, limite…
Sorry to Bother You de Boots Riley (E.-U., 2018, 1h51)
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