Originaire du pays de Björk, Solveig Anspach était jusqu’à présent cinéaste documentaire. Dans Haut les coeurs !, première fiction, elle s’attaque à la maladie avecénergie, humour et style, aidée par Karin Viard et Laurent Lucas. Une comédie noire sur le cancer, c’est possible.
Celles et ceux qui, en allant voir Haut les coeurs !, auraient déjà la larme à l’oeil, se sentiraient pleins de commisération ou s’imagineraient tout apprendre sur la manière de vivre son cancer façon Dossiers de l’écran peuvent se chercher une autre toile de projection.Haut les coeurs ! n’est ni un film à thème, ni un fascicule sur la maladie, ni une lamentation autobiographique. Poignant, drôle, physique, combatif, le premier long métrage de Solveig Anspach ne fait pas pitié, il est plutôt fortifiant et vertigineux comme une avancée à cloche-pied sur le rebord d’une falaise.
Le film est un peu l’histoire d’une lutte à l’aveugle dans le corps d’Emma, une jeune femme de 30 ans qui, à cinq mois de grossesse, apprend au détour d’une analyse qu’une tumeur avancée ronge son sein gauche. L’idée soudain très proche de sa possible disparition, de la mutilation de son buste et de son image, vient se heurter brutalement à l’idée de cette naissance voulue à tout prix. Son corps devient l’arène d’un duel. Et l’histoire du couple va bifurquer vers un monde jusqu’alors inconcevable et inconnu, celui des médecins et des hôpitaux.
La réalisatrice réussit à amener les spectateurs côte à côte avec ses personnages dans une épreuve et une intimité communes. Son film, tourné en lieux réels, nous fait entrer de plain-pied dans le processus médical, mais il a la grande force de ne jamais se détacher de l’histoire personnelle et singulière d’Emma et de Simon, que Solveig Anspach filme très près des visages. Il analyse la transformation de leurs liens qui vont se resserrer, se révéler. Avant Haut les coeurs !, Solveig Anspach avait réalisé six documentaires, entre 88 et 98. « J’ai une formation de cinéma. Je suis restée trois ans à la Femis, et je pensais que j’allais faire le parcours habituel. Puis j’ai vu des documentaires très forts, comme ceux de Barbara Kopple (Harlan county USA, Wild man blues…), qui m’ont bouleversée : il y avait une évidence à ce que ces films existent, c’était du cinéma, plus que du cinéma. Du coup, au lieu de me lancer dans des courts métrages de fiction comme faisaient tous les autres, j’ai commencé à faire du documentaire. Mon film promo, je l’ai tourné dans mon île natale, Vestmannaeyjar comme une petite Corse située sous l’Islande. J’ai filmé ma grand-mère, mes voisins à propos de l’irruption volcanique qui a eu lieu là-bas en 1973. La moitié de la ville a été recouverte par la lave. Du jour au lendemain, toutes les rues, tous les repères de mon enfance avaient disparu, c’était très étrange. En sortant de la Femis, j’ai tourné Sandrine à Paris. Après, ça s’est passé assez simplement : j’ai fait un documentaire après l’autre, j’avais envie de faire de la fiction, mais je ne savais pas vraiment quoi. En même temps, Sandrine à Paris était assez mis en scène, il y avait des acteurs, j’aimais bien mélanger les deux. Et il se trouve qu’un jour, je traverse quelque chose d’assez difficile qui ressemble un peu à ce que je raconte dans Haut les coeurs !. J’ai commencé à tenir une sorte de journal, je prenais des notes sur ce qui m’arrivait, sur ce qui se passait dans les couloirs de l’hôpital…
C’est ainsi que le scénario prend corps. Petit à petit, Solveig Anspach se demande si, de l’écriture de cette histoire individuelle, un film de fiction ne pourrait pas voir le jour. « J’ai cherché un scénariste. Je voulais qu’on décode ensemble ce qui s’était réellement passé, créer un espace de fiction pour que ça devienne du cinéma. Dans un premier temps, le scénariste Pierre-Erwan Guillaume a travaillé sur les personnages masculins et moi sur les personnages féminins, après on a échangé. J’étais dans une sorte d’énergie où je voulais que ça aille vite, je ne me voyais pas m’installer dans un projet qui aurait pris quatre ans : j’étais lancée, il fallait que je le fasse dans la foulée. En fait, le film a été un jeu de trois écritures successives : le scénario avec Pierre, durant le tournage avec Karin et Laurent, et au montage avec Anne Riegel, car le film durait trois heures et quart. C’est un moment éprouvant car il faut faire le deuil de beaucoup de scènes. »
Ce qui arrache le film à la noirceur intrinsèque du sujet, c’est l’équilibre entre l’intériorité du traitement, la proximité de ce que vivent les personnages, excellemment incarnés par Karin Viard et Laurent Lucas, et l’humour mordant et décalé qui naît des situations elles-mêmes, sabrant tout pathos. Le personnage de Simon dédramatise sans cesse et recadre la douleur d’Emma, lui permet d’autant moins ses abandons et ses faiblesses qu’elle est dans un état de fragilité intense.
« Je voulais raconter la dureté de cette expérience, mais il ne fallait pas que ce soit dur au point qu’il n’y ait aucun plaisir dans le film, que ce soit si insupportable aux gens qu’ils auraient quitté la salle au bout de cinq minutes. Il y a d’ailleurs eu un moment dans l’écriture où je suis plus partie vers la comédie : moins de scènes d’hosto, comme si je n’osais pas vraiment affronter cette histoire. J’avais peur qu’il y ait une confusion, que les gens se disent « Oh là là, la pauvre, elle a traversé tout ça. » En amenant cet espace d’humour, Simon évite l’apitoiement. Moi, je trouve qu’on peut rire de tout, c’est même une arme formidable. Cet humour était indispensable, sinon c’était foutu. Laurent a été un allié merveilleux. De même que Karin. Je l’ai choisie parce qu’elle avait beaucoup d’expérience, et je trouvais intéressant de prendre une actrice qui avait fait pas mal de comédies pour ce rôle-là si j’avais pris une actrice hyper-tragique dès le départ, ça aurait plombé le film. Avec elle, je me doutais que ça allait amener une grande énergie. »
Le traitement des couleurs et des lumières ainsi que la bande-son travaillent le réalisme du film. Tourné sur deux saisons, juillet et novembre-décembre, Haut les coeurs ! commence dans les rayons chauds de l’été pour s’enfoncer dans les couleurs froides de l’hiver, jusqu’au blanc aveuglant et dénudé de la fin. Les sons parvenant dans la chambre stérile deviennent l’expérience subjective d’Emma.
« Ce qui m’intéresse est d’être entre le documentaire et la fiction, entre l’humour et la noirceur. J’aime des films comme Rosetta et La Promesse des Dardenne, Voyages d’Emmanuel Finkiel, Sinon, oui de Claire Simon. Mais je pense que beaucoup de gens, quand ils entendent le mot « documentaire », se disent que ça ne va pas être du cinéma. Le problème n’est pas documentaire ou fiction, mais cinéma ou pas cinéma. »
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Haut les coeurs ! de Solveig Anspach, avec Karin Viard, Laurent Lucas, Julien Cottereau.
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