Wang Xiaoshuai explore, sur trois générations, les cicatrices d’une famille soumise à la politique de l’enfant unique et confrontée à un deuil brutal. Une grande fiction d’auteur.
Il n’est certes pas le plus tranchant ni le plus avant-gardiste des grands auteurs chinois de sa génération : soit un aréopage de cinéastes apparus au tournant de 1990 pour se consacrer à l’exploration intime des cicatrices de la misère chinoise post-maoïste, et dont l’icône restera éternellement Jia Zhang-ke (on retrouve d’ailleurs ici son décor le plus emblématique, le barrage des Trois-Gorges).
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Moins un sujet qu’un paysage, un clima
Mais il n’y a pas que JZK dans la vie du cinéphile à inclinaison chinoise. Wang Xiaoshuai a largement réussi, au moyen d’une quinzaine drames oscillant entre le risque de la noyade moralisante (Chongqing Blues) et le firmament du néoréalisme (Beijing Bicycle, variation sur Le Voleur de bicyclette), à se bâtir une honorable réputation – notamment à la Berlinale, où deux de ses films ont déjà obtenu l’Ours d’argent, tandis que les deux moitiés de son couple d’acteurs principaux sont reparties de l’édition 2019 avec un prix d’interprétation.
Ils sont en effet de toutes les séquences ou presque de So Long, My Son, fresque historique accompagnant une famille et ses proches sur trois décennies avec un sujet, la politique de l’enfant unique appliquée en Chine de 1979 à 2015, et qui n’avait curieusement encore jamais été au centre d’une grande fiction d’auteur.
Moins un sujet qu’un paysage, un climat, voire une ombre : un bras invisible abattu sur les destins, qui manipule les gestes et enserre le cou de chaque famille. Celle du film est centrée autour d’un malheur : la mort accidentelle d’un enfant, autour duquel le film de Wang cultive une ramification dramatique complexe, épaisse, riche en temporalités parfois enchâssées les unes sur les autres.
Un drame imposant
Le résultat est un drame imposant exhibant moins les horreurs les plus connues qu’a engendrées ladite politique (qui causa, on le sait, infanticides innombrables et trafics les plus criminels) que des cicatrices plus secrètes et discrètes, que Wang révèle à force de patience et de pudeur : quelque chose de la jalousie des familles entre elles, ou du poids des attentes pesant sur chaque enfant, de la sacralité quelque peu amère qui entoure la moindre naissance (très troublante scène conclusive, façon baby shower empoisonnée – on n’en dira pas trop).
Le sujet est vaste et le film brasse à l’avenant, livrant par son épaisseur temporelle ce qui est aussi un portrait social où, sans qu’on en situe vraiment la frontière, une Chine de la misère se transforme bientôt en Chine middle class. Jamais sans se départir d’un relatif académisme, d’une certaine convention dans le tragique – mais So Long, My Son impose un respect certain, et l’on n’en ressort certes pas ébouriffé, mais sans nul doute un peu grandi.
So Long, My Son de Wang Xiaoshuai, avec Wang Jingchun et Yong Mei (Ch., 2018, 3h05)
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