Bonne surprise de Chine populaire : un gangster pris dans un engrenage fatal, son frère naïf et une belle entraîneuse, trio idéal d’un beau film noir entre ombre et lumière. Après Xiao Wu, artisan pickpocket de Jia Zhangke, So close to paradise vient confirmer que le cinéma chinois est définitivement sorti des fresques paysannes et/ou […]
Bonne surprise de Chine populaire : un gangster pris dans un engrenage fatal, son frère naïf et une belle entraîneuse, trio idéal d’un beau film noir entre ombre et lumière.
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Après Xiao Wu, artisan pickpocket de Jia Zhangke, So close to paradise vient confirmer que le cinéma chinois est définitivement sorti des fresques paysannes et/ou des mélos académiques de Zhang Yimou et Chen Kaige. Même si Xiao Wu et So close n’ont formellement que peu de points communs le premier, chronique quasi néoréaliste, le second, film de genre plus classique , ils partagent la même vision d’un monde urbain sans illusions, où l’individualisme fait force de loi et où la libéralisation économique favorise la violence.
Mais foin de sociologie, c’est surtout la manière dont Wang Xiaoshuai adapte les codes du film noir à la réalité actuelle de la Chine pop qui force l’admiration. Sur le papier, la trame de So close to paradise est presque celle d’un film hollywoodien : deux frères, Gao Ping, gangster dessalé mais solitaire, et Dong Zi, brave coolie à peine débarqué de sa cambrousse, rencontrent une femme fatale, Ruan Hong, entraîneuse de night-club et dulcinée d’un chef de bande. Elle va involontairement les mener à leur perte par la simple force de sa séduction. Mais le cinéaste ne se soucie pas de souligner une trajectoire fatale avec des coups de théâtre percutants. Même les scènes violentes sont distanciées, banalisées. L’aspect policier reste permanent mais secondaire. Tout l’intérêt et la magie du film résident dans les entre-deux du récit. Wang Xiaoshuai montre en effet une certaine nonchalance moins grande, certes, que Jia Zhangke, champion du cinéma slacker dans la conduite de son histoire.
En gros, le film commence dans la boue une bagarre brutale et finit dans la boue la fin du héros, renvoyé symboliquement à la glèbe de ses origines paysannes. Entre ces deux pôles, il y a des questions d’argent et de sentiments, mais elles ne seront pas résolues, à peine posées.
Volé par Fatty, un associé plus escroc que lui, Gao Ping part à la recherche de sa galette. Ou plutôt d’une fille appelée La Vietnamienne, alias Ruan Hong, maîtresse du traître, qui doit le mettre sur sa piste. L’enquête suit des méandres. Le gangster veille aussi paternellement sur son frangin, entreprend son éducation, non pas au gangstérisme mais à la vie urbaine. Le local où ils vivent, sorte d’entrepôt rudimentaire surplombant les quais du fleuve Yang-tseu-kiang (où travaille Dong Zi), est le contrepoint diurne, lumineux et dégagé des labyrinthes populeux de la ville de Wuhan où l’intrigue va se nouer la nuit.
L’attrait immédiat du film repose sur cette opposition entre la clarté réaliste du jour et la noirceur irréelle, quasi onirique, des nuits, où ils errent et métaphoriquement se perdent dans les bas-fonds. C’est dans ce « paradis » trouble, plein de faux-semblants, qu’ils vont aller quérir, tels deux chevaliers candides et trop confiants, un trésor qu’ils ramèneront à leur tanière : Ruan Hong, déesse inaccessible. Apparition fantomatique, elle rappelle la princesse Wakasa des Contes de la lune vague après la pluie de Mizoguchi. Voir la très belle scène nocturne où les frères la suivent dans les dédales de la ville. Ils restent à distance. Ruan ne semble pas s’apercevoir de leur présence. Mais dans une ruelle chichement éclairée, elle s’arrête net. Elle reste immobile de dos, sa silhouette se découpant sur l’obscurité insondable. Puis elle fait un pas en avant dans le noir et disparaît.
C’est cette désespérante incertitude, cette lutte aveugle contre une réalité et des codes qui dépassent les héros l’innocent Dong Zi mais aussi Gao Ping, l’affranchi , qui font tout le charme mélancolique d’un film à la fois ancré dans la Chine contemporaine et intemporel. Mine de rien, Wang Xiaoshuai a retrouvé le secret des grands films noirs.
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