En faisant d’un célèbre jeu télé l’enjeu dramatique d’un mélo à la Dickens, Boyle ratisse encore plus large que d’habitude.
Le film a beau être tiré d’un roman, c’est la télévision qui en est l’enjeu. La version indienne de l’émission Qui veut gagner des millions ? sert non seulement d’épine dorsale au récit, mais Boyle en utilise la dramaturgie, le suspense, les rebondissements au profit d’un récit à la Dickens, un Oliver Twist oriental, sur un orphelin issu d’un taudis de Bombay qui connaît la rédemption. Après avoir été torturé dans une geôle de Bombay (on croit qu’il a triché), le jeune homme expliquera à un inspecteur comment il a trouvé la réponse à chaque question. Ce qui permet à Boyle, revenant sur les traces de ses ancêtres colonisateurs, de dresser un inventaire complaisant des plaies de l’Inde actuelle (gangstérisme, prostitution, corruption, misère, violence). On reconnaît les obsessions du cinéaste : l’enfance, la violence, et surtout l’argent. De Millions, où des gamins s’échinent à dépenser un magot tombé du ciel, à Slumdog Millionaire, il n’y a qu’un pas. Sans oublier Petits meurtres entre amis, où des colocs s’étripent pour un tas de fric. Pour faire gober le simplisme du film, dont chaque épisode tragique est subordonné à une question du jeu télé, Boyle s’appuie sur son talent d’illusionniste, filmant en biais, caméra à l’épaule, et colorant les images pittoresques de slums (“taudis”, cf. Slumdog) indiens comme des feux d’artifice. La tornade Danny Boyle, continuateur branché d’Alan Parker, redonne une nouvelle jeunesse au misérabilisme des bas-fonds, vieux genre touristique. Cela dit, il joue sur du velours, se repaissant de ce croustillant tableau tout en déplorant sa noirceur. Il joue même sur plusieurs tableaux en s’adressant non seulement à des Occidentaux avides de clichés exotiques, mais également aux spectateurs indiens. L’utilisation de la version indienne de Qui veut gagner des millions ? est un évident appel du pied au public local. Il serait étonnant qu’un cinéaste comme Boyle n’ait pas visé l’immense marché indien en lui offrant une alternative formelle aux mélos sirupeux de Bollywood, tout en restant proche des normes morales et narratives des studios indiens. S’il a gommé les chants et danses, Boyle les rappelle par le clin d’œil du générique de fin, où les personnages se trémoussent dans une gare sur la musique d’A.R. Rahman (compositeur star de Bollywood qui signe la musique du film). Mais en même temps, Boyle dévalue le cinéma. Il en fait un simple produit dérivé de la télévision vulgaire pour gogos. On n’en attendait pas moins d’un tel arnaqueur.
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